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Quand la synergie entre les libertés des personnes et la force des organisations augmente la performance de l’entreprise

Chroniques | publié le : 26.09.2022 |

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Ingénierie des libertés

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Par Michel de Virville directeur honoraire du Collège des Bernardins ; Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris ; Maurice Thévenet professeur à l’Essec  

À l’heure où tant d’incertitudes (guerre en Ukraine, inflation, transition climatique, 8e vague du coronavirus) impactent l’entreprise, il nous semble urgent de nous interroger sur certains fondamentaux du management qui peuvent lui permettre de relever autant de défis simultanés. Parmi ces fondamentaux, notre conviction est qu’il est de plus en plus nécessaire pour l’entreprise et ses dirigeants d’accepter une sorte de « lâcher-prise » que nous avons désignée sous la forme d’un oxymore qui peut paraître un peu surprenant : « L’ingénierie des libertés »1. Cette expression souligne que nous nous éloignons volontairement du modèle de « l’entreprise libérée »2, qui a connu son heure de gloire au début des années 2010, pour défendre l’idée que l’organisation avec ses processus est tout aussi nécessaire que les espaces de liberté à construire et à coordonner au niveau des managers et de leurs équipes.

Pour traduire cette conviction dans la réalité de l’entreprise, nous proposons aux managers de s’essayer à une démarche qui leur permette progressivement, dans le contexte d’une organisation structurée à partir de ses processus, de :

1. Élargir et mieux articuler l’autonomie de leurs équipes par la coconstruction de la confiance et des légitimités ;

2. Percevoir de façon plus réaliste et lucide la manière dont leurs libertés et leurs talents, les leurs et ceux de leurs équipes, s’articulent pour concourir à la réussite d’un projet commun.

Nous reconnaissons donc la nécessité des processus pour permettre à l’entreprise d’être plus efficace tout en soulignant leurs limites, comme l’a fait il y a une dizaine d’années avec brio le sociologue François Dupuy3. Mais notre conviction est qu’au-delà de l’organisation avec ses processus, la différence des entreprises les plus performantes se fait sur les facteurs immatériels que sont la confiance, l’autonomie et la légitimité. Ces trois facteurs sont indissociablement liés : sans confiance, pas d’autonomie – qui s’appuie elle-même sur la propre légitimité du manager et celle de ses proches. Tout ceci resterait cependant lettre morte sans discernement de la part des managers et de leurs équipes. D’où notre insistance sur l’importance de la lucidité dans la mise en œuvre de l’ingénierie des libertés.

S’inscrivant résolument dans le droit fil du courant de la sociologie des organisations4, qui reconnaît une marge de liberté à tout acteur dans l’organisation, l’ingénierie des libertés invite les managers et leurs équipes à pratiquer trois déplacements : appropriation de l’importance du projet collectif, découverte de la nécessité de la réflexion et du travail sur les pratiques pour augmenter la capacité à coopérer et de l’impératif de changer ensemble.

Jean-Dominique Senard, aujourd’hui président de Renault et ancien PDG de Michelin, reconnaît dans sa préface du livre déjà cité5 la similitude entre l’ingénierie des libertés et la démarche de responsabilisation mise en œuvre chez Michelin depuis une dizaine d’années et prise en exemple dans le récent ouvrage de Gary Hamel Humanocratie6. En guise de conclusion, nous reprenons à notre compte cette belle phrase du même Jean-Dominique Senard, dans la préface, qui résume bien la démarche de l’ingénierie des libertés que nous évoquons ici : « La méthode proposée dans ce livre parvient à mixer la force structurante de l’ingénierie et la force créatrice de la liberté en s’appuyant sur trois ingrédients indispensables : la confiance, l’autonomie et la légitimité. »7

(1) Voir l’ouvrage publié récemment : de Virville, M. avec M. Thévenet et CH. Besseyre des Horts : L’ingénierie des libertés. Manager en étant plus libre, plus lucide et efficace, Vuibert, septembre 2022.

(2) Geetz. I & Carney, B. : Liberté & Cie, Flammarion, coll. Champs, 2012.

(3) Dupuy, F. : Lost in management, la vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle, Le Seuil, 2011.

(4) Crozier, M. & Friedberg, E. : L’acteur et le système, le Seuil, 1977.

(5) de Virville, M. avec M. Thévenet et CH. Besseyre des Horts : L’ingénierie des libertés…, op.cit.

(6) Hamel, G & Zanini, M. Humanocratie, Diateino, 2021, ch.14.

(7) Un évènement de présentation du livre L’ingénierie des libertés aura lieu au Collège des Bernardins le 25 octobre 2022 à 18 h en présence de J.-D. Senard, des trois co-auteurs et d’autres intervenants.