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« Il faut privilégier les outils d’intelligence artificielle coconstruits avec des utilisateurs »

À retenir | publié le : 26.09.2022 | Lys Zohin

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« Il faut privilégier les outils d’intelligence artificielle coconstruits avec des utilisateurs »

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Les salariés qui utilisent des outils d’intelligence artificielle peuvent se sentir remis en cause dans leur expertise, voire leur identité professionnelle. Fabienne Perez, chercheuse à Toulouse School of Management Research, propose des pistes d’actions pour accompagner le changement.

Quelle est, selon vous, l’ampleur du recours aux outils fondés sur l’intelligence artificielle dans l’entreprise ? Quels métiers sont les plus touchés ?

Au quotidien, tout le monde utilise de tels outils. Quand votre smartphone vous propose des informations liées à vos centres d’intérêt ou vous aide à rédiger des mails, il s’agit d’intelligence artificielle (IA). Pour ce qui concerne le monde de l’entreprise, en 2021, 30 % des firmes mondiales utilisaient des outils professionnels de ce type et 40 % comptaient le faire à moyen terme. Il s’agit donc d’un recours massif, même si la France connaît un certain retard. Presque tous les secteurs économiques sont touchés dès lors que leurs activités sont numérisées, avec de grosses masses de données traitées et des processus automatisables. Selon un rapport rendu par France Stratégie en 2018, trois secteurs sont particulièrement concernés : le secteur des transports (de marchandises et de personnes), ainsi que la banque et l’univers de la santé, deux secteurs que j’ai étudiés dans le cadre de ma thèse de doctorat.

Selon votre recherche, l’utilisation de ces outils d’IA peut induire un sentiment de perte d’expertise pour les professionnels. Pouvez-vous développer ?

Un système d’IA peut servir d’aide à la décision, en laissant au salarié son autonomie, ses responsabilités. Mais il peut aussi le remplacer pour certaines tâches, remettre en cause son savoir-faire spécifique, son sentiment de contrôle. Dans le domaine de l’imagerie médicale par exemple, le radiologue utilise la détection automatique pour vérifier qu’il a bien repéré toutes les anomalies sur les images, qu’il n’a rien laissé passer, mais il garde la responsabilité finale. Il signe le compte rendu médical. C’est plus ambigu pour le conseiller bancaire, assisté par des outils dotés de machine learning, et qui n’a parfois plus toute latitude dans ses suggestions aux clients. Beaucoup nous ont confié sentir leur rôle remis en cause. Les professionnels des deux secteurs, confrontés à ces nouveaux outils, ont, en tout cas, des réactions communes. Interrogés, tous ont mis en avant l’importance dans leurs métiers de la relation. Concurrencés pour ce qui est des compétences techniques par ces outils, plus rapides, plus systématiques qu’eux, et capables d’apprendre, c’est comme si ces professionnels cherchaient à se positionner sur un terrain où l’humain était irremplaçable.

Comment les RH peuvent-elles accompagner chez les salariés ce changement dans les habitudes professionnelles pour éviter une perte de sens et d’identité professionnelle ?

Il faut privilégier les outils d’intelligence artificielle coconstruits avec des utilisateurs. Il s’agit de tenir compte dès la conception de l’usage qui sera fait, en partant de la réalité du travail, en veillant à ce que les salariés conservent le « dernier mot ». Il faut également accompagner la mise en place de ces outils avec des démarches pédagogiques. Leur performance est en effet d’autant plus élevée qu’ils sont fréquemment utilisés. Or si les salariés se sentent mis en concurrence avec la machine, s’ils ne comprennent pas son principe de fonctionnement, ils peuvent, à la première inexactitude, se voir conforter dans une défiance initiale, voire essayer de contourner le système. Il est donc important de montrer aux salariés ce qui peut leur être utile et comment ils peuvent faire évoluer l’outil en fonction de leurs besoins. Plus largement, c’est le design de nombreux postes qui va devoir être réétudié. Plus on introduit de technologie, plus il faut mettre en avant l’importance de la relation, réhumaniser les métiers. Si l’introduction d’outils d’intelligence artificielle se traduit par une augmentation de la valeur ajoutée de l’entreprise mais une diminution de la valeur ajoutée du salarié, le travail de celui-ci perd en partie son sens. À l’heure des pénuries de main-d’œuvre, c’est un vrai sujet.

Auteur

  • Lys Zohin