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Les clés

Les ravages d’Amazon

Les clés | À lire | publié le : 19.09.2022 | Lydie Colders

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Les ravages d’Amazon

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Dans cette enquête sur « le système Amazon », le journaliste Alec MacGillis décrit la stratégie agressive du géant de la logistique aux États-Unis, qui prospère grâce à des emplois pénibles. Un avertissement pour d’autres pays…

C’est l’histoire de William Bodani, un ancien ouvrier dans l’ex-bastion industriel de Baltimore, devenu à 69 ans conducteur de transpalettes chez Amazon, qui doit se retenir d’uriner, faute de temps pour traverser les 4 000 mètres carrés de l’entrepôt. Avec le système de l’entreprise, qui suit les salariés à la trace, au-delà de vingt minutes de pause, il risque en effet des points de pénalité, voire un licenciement automatique. En 2015, le géant de la logistique s’est installé dans cette ancienne usine emblématique de General Motors, en embauchant 3 000 personnes, avec la bénédiction des élus et de l’État, qui offrit 43 millions de dollars d’aides pour son implantation. « Bo, lui, démarra à 12 dollars de l’heure »… C’est aussi l’histoire de Philipp Lee Terry, un employé décédé d’un accident grave en 2017 dans un entrepôt de l’Indiana. Et l’inspection du travail aurait aidé l’entreprise, condamnée, « à alléger les sanctions financières ». À partir d’une galerie de portraits, le journaliste américain Alec MacGillis livre une enquête littéraire, sorte de kaléidoscope géant, sur les méthodes redoutables d’Amazon. Il s’attache à montrer combien l’empire de Jeff Bezos a bouleversé le paysage du travail aux États-Unis, creuset d’inégalités profondes. Avec souvent l’assentiment des élus locaux.

Hégémonie et exploitation

Depuis 2012, l’entreprise a crû à une vitesse ahurissante, jusqu’à devenir le deuxième plus grand employeur privé du pays après Walmart. Elle est passée de 88 000 employés « à 750 000 employés à travers le monde, et 400 000 aux États-Unis ». Évoquant son lobbying actif (instructif), le journaliste du New Yorker explique comment Amazon a fini par dominer le marché du travail outre-Atlantique, grâce à une stratégie qui ne doit rien au hasard. Encore dopé par la crise sanitaire, le géant a embauché à tour de bras. Mais il détruit aussi la vie sociale, supprimant « 76 000 emplois par an » dans le commerce de détail aux États-Unis… Jeff Bezos est devenu milliardaire, mais les salaires restent au plancher et les conditions de travail précaires et dangereuses. Alex MacGillis en rend compte très largement : cadences infernales (avec la robotisation, « les collecteurs du centre de distribution de Baltimore sont supposés atteindre 300 ou 400 articles par heure »), accidents mortels, manquements graves aux obligations de sécurité… Le turn-over étant très élevé chez Amazon, sans oublier la main-d’œuvre saisonnière lors des pics d’activité (dont les tristes « CamperForce » pour les retraités), cette « fugacité » organisée visait à « empêcher tout effort de syndicalisation », explique l’auteur. Mais les accidents et la pandémie ont changé la donne : un premier syndicat a été créé à New York – au grand dam d’Amazon, qui a tout fait pour l’éviter. Le syndicalisme est certes plus fort en France. Mais ce livre sonne comme une alerte sur l’amazonisation du monde.

Auteur

  • Lydie Colders