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Employabilité : Pour que le chômage de longue durée ne soit pas une fatalité

Le point sur | publié le : 19.09.2022 | Dominique Perez

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Employabilité : Pour que le chômage de longue durée ne soit pas une fatalité

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Non seulement les chômeurs de longue durée veulent occuper un emploi, mais ils le peuvent : tel est le postulat des initiateurs de la démarche Territoires zéro chômeur longue durée, qui ont réussi à convaincre une partie du monde politique. Des solutions alternatives sont possibles pour résorber le chômage – en faisant confiance, notamment, aux principaux intéressés…

Les promoteurs de la démarche Territoires zéro chômeur longue durée (TZCLD) ont dû batailler ferme avant que leur conviction de base – « personne n’est inemployable » – soit officiellement reconnue, dans un contexte où le chômage longue durée (plus d’un an) a explosé. « Nous sommes passés d’1,4 million en 1995 à 2,4 millions aujourd’hui, en dépit des rebonds récents de l’emploi, avec une augmentation de plus de 200 % de personnes au chômage depuis plus de deux ans, donc majoritairement sans indemnisation », relève ainsi Daniel Le Guillou, président de l’entreprise à but d’emploi Actypoles-Thiers, membre du conseil d’administration de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée et auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet. Et les mesures ciblées sur le chômage de longue durée se sont souvent révélées plutôt inefficaces…

Malgré un droit à l’emploi inscrit dans la Constitution depuis 1946, face au sentiment de fatalité, ATD Quart Monde, à l’origine de la démarche, rejoint par le Secours catholique, Emmaüs France, le Pacte civique et la Fédération des acteurs de la solidarité, n’a pas baissé les bras. Le 29 février 2016, une première loi d’expérimentation du dispositif, portée par le député Laurent Grandguillaume (lire l’entretien) a été adoptée, ouvrant la voie, pour dix territoires, à la création d’entreprises à but d’emploi (EBE). Une deuxième loi a été votée le 14 décembre 2020, permettant à 50 nouveaux territoires de postuler.

Inverser le processus

Le principe ? En partant des envies, des compétences et des contraintes des « personnes privées d’emploi », leur proposer, au sein de ces entreprises, un travail en CDI, rémunéré au moins au Smic, dans des activités non concurrentielles, en temps choisi, et qu’elles auront contribué à imaginer. À rebours d’un marché de l’emploi qui tend, traditionnellement, à vouloir faire « entrer dans le moule » de postes non pourvus les demandeurs d’emploi… À la manœuvre : des comités locaux pour l’emploi (CLE) réunissant les partenaires de l’emploi sur chaque territoire (collectivités territoriales, institutions, associations, entreprises d’insertion et personnes possiblement concernées par le dispositif). Une fois les projets élaborés, ce qui prend minimum deux ans, ils demandent une labellisation au fonds d’expérimentation, qui doit valider la démarche et déclencher le financement d’amorçage.

Avant même la promulgation de la loi, des territoires pionniers se sont lancés dans l’aventure. Parmi ceux-ci, Mauléon (Deux-Sèvres), qui s’était préparé depuis 2014 à intégrer le dispositif, a été l’un des dix territoires expérimentaux labellisés. En janvier 2017, l’Esiam (Entreprise solidaire d’initiative et d’action du Mauléonais) a été officiellement créée, sur la base d’activités centrées sur la valorisation du bois (recyclage de palettes, de menuiserie), le tri et le réemploi de vêtements, l’entretien des espaces verts… Depuis, « une centaine de personnes privées d’emploi ont été embauchées par l’EBE, pour un effectif de 75 personnes aujourd’hui, certaines ayant quitté le dispositif pour partir à la retraite, par exemple », témoigne Alain Robin, directeur de la maison de l’emploi, qui coordonne le dispositif. Paradoxalement, à première vue, ce territoire de 8 500 habitants, plutôt dynamique, n’était pourtant pas touché par un chômage de masse (6 % seulement). Un « petit » pourcentage derrière lequel se cache justement un risque de stigmatisation des personnes qui ne trouvent pas de travail, dans ce contexte jugé favorable. Parmi ces exclus, « environ 40 % sont en situation de handicap, explique Alain Robin. Il s’agit d’un territoire à vocation industrielle, qui génère traditionnellement beaucoup de troubles musculo-squelettiques. »

Un engagement risqué ?

Apporter des réponses locales à des situations spécifiques, tel est donc le principe de TZCLD et la force d’un dispositif qui suppose une collaboration exceptionnelle entre les élus et les partenaires de l’emploi dans chaque territoire. Rien ne peut se faire sans une volonté politique, qui doit aller bien au-delà de la déclaration d’intention. Un engagement fort, qui repose sur des partenariats à construire. « Beaucoup de territoires sont convaincus, mais le coût de l’ingénierie du projet, la mise en œuvre d’un comité local, dans lequel tous les acteurs du territoire doivent être impliqués et le risque de ne pas se voir habilité, donnant lieu à une forte déception, peuvent représenter des freins », explique Daniel Le Guillou.

Parmi les réserves exprimées d’emblée, et qui font encore partiellement débat aujourd’hui, la soutenabilité et la pérennité financières des EBE. Mais après quelques années de fonctionnement, l’optimisme, mesuré, est de mise. Pour les initiateurs du projet, la preuve est faite… « L’expérimentation montre que le besoin de financement des emplois créés est nettement inférieur au coût des autres mesures en faveur de l’emploi mises en œuvre depuis près de 30 ans (exonérations de cotisations sociales, CICE, etc.), explique Daniel Le Guillou dans son livre Zéro chômeur, mobilisez votre territoire pour l’emploi. Compte tenu de l’objectif du projet, l’évaluation de l’expérimentation ne saurait se limiter au critère économique, comme cela a été principalement le cas pour la première phase. »

Certains ont argué du coût de la mesure, nécessitant d’investir pour des personnes éloignées de l’emploi qui n’étaient plus indemnisées, ni au titre du chômage, ni du RSA… « Nous sommes beaucoup moins chers que toutes les politiques de l’emploi », assure aujourd’hui Daniel Le Guillou. Sans compter les conséquences sur la santé des personnes, notamment, non évaluées actuellement (lire aussi l’entretien).

Redynamiser des territoires

Mixer les activités à vocation purement « sociales » et celles qui sont, en plus, susceptibles de générer un chiffre d’affaires pour assurer le « reste à charge », non pris sur les financements publics, repose sur un équilibre délicat pour les EBE, qui affichent aujourd’hui un chiffre d’affaires moyen de 6 000 euros. Les modèles s’affinent au fur et à mesure des projets, encore en phase d’expérimentation. Dans certains territoires, au-delà des activités non concurrentielles déjà imaginées, telles que le réemploi de matériel, le recyclage, les petits services aux particuliers, des activités « oubliées » ont ressurgi, permettant de (re)valoriser les savoir-faire de personnes privées d’emploi depuis l’abandon de certains domaines économiques.

Près de Châtellerault, grâce à l’association Tope 5 (Territoire objectif plein emploi) réunissant cinq communes (Cenon-sur-Vienne, Colombiers, Naintré, Thuré et Scorbé-Clairvaux) et dont l’EBE a été officialisée en mars 2019, une champignonnière abandonnée a ainsi réouvert ses portes le 8 septembre dernier. « Le conseil d’administration de l’association créée pour préfigurer la future EBE a été constitué majoritairement de personnes privées d’emploi, explique Delphine Plaud, cheffe de projet et devenue récemment directrice de l’EBE. Elles ont été mobilisées pendant les trois années de préfiguration. Le fait qu’il n’y ait pas de mise en concurrence avec d’autres demandeurs d’emploi, et qu’elles soient contributrices, a été fondamental. Elles se réunissaient plus d’une fois par semaine pour travailler sur le projet… Le lien social a été très important pendant ces trois années de bénévolat. » Trois pôles d’activités ont ainsi été déterminés : une recyclerie, une conciergerie de territoire et du maraîchage – incluant la champignonnière, fermée depuis 20 ans. « Nous nous sommes beaucoup renseignés sur l’opportunité de produire à nouveau des champignons, légumes dont la production en France n’est quasiment plus développée », explique Delphine Plaud. Après amélioration des conditions de travail passées, en électrifiant notamment la cave et en rehaussant les bacs pour faciliter la cueillette, ce nouveau lieu de production a repris son activité le 8 septembre 2022 avec quatre salariés et l’objectif d’accroître l’effectif au cours des prochains mois.

« Nous verrons en fonction des possibilités de distribution, qui s’avèrent bonnes localement. Les restaurateurs, les grandes et moyennes surfaces locales et les habitants sont déjà très intéressés », dit-elle.

En dehors de la soutenabilité économique, la question de la gestion de projet est un autre sujet de préoccupation, avec la nécessité de prévoir une équipe mobilisée et compétente lors de la préfiguration même de la démarche TZCLD, qui dure plusieurs années. Des moyens supplémentaires avaient été demandés avant la dernière loi, mais non obtenus. Les expérimentations en cours aideront peut-être à faire également avancer ce dossier…

Financement public

La nouvelle loi a fixé le montant de la contribution au développement de l’emploi, pris en charge par l’État pour chaque équivalent temps plein recruté dans le cadre de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée, à 102 % du montant brut horaire du Smic. Les départements contribuent, pour chaque équivalent temps plein, au financement de cette contribution à hauteur de 15 % du montant de la participation de l’État.

Paris aussi…

« Les Territoires zéro chômeur longue durée concernent très majoritairement les territoires ruraux, mais des villes comme Paris ou Villeurbanne se sont battues aussi pour s’intégrer dans la démarche », constate Élodie Brian, cheffe de projet TZCLD-innovation sociale à la direction de l’attractivité et de l’emploi de la Ville de Paris. Premier territoire labellisé en 2017 : le 13e arrondissement, avec son EBE 13 Avenir, axée sur des services aux particuliers (livraison de courses, portage de repas à domicile…) et aux entreprises (conciergerie), ainsi que du réemploi. Le 19e arrondissement (quartier Rosa Park) et le 18e (La Chapelle Nord) ont été, quant à eux, labellisés en 2022. L’EBE du 19e, ouverte en juin dernier, comprend pour le moment une dizaine de salariés, avec des projets liés notamment à des activités de couture, conciergerie, petits services… « Nous avons l’objectif de générer 54 emplois et de créer une deuxième entreprise avec une vingtaine d’emplois dès 2023 », déclare François Dagnaud, maire du 19e. Si la volonté politique locale est le premier moteur de développement, « nous constatons dans ces quartiers nouveaux, majoritairement situés près des portes de Paris et en quartier prioritaire de la politique de la ville, une grande solidarité entre les acteurs, y compris économiques », constate Élodie Brian. Sans oublier des habitants mobilisés… « Nombre de projets sont portés à l’origine avec les conseils de quartier », souligne-t-elle. Le défi reste d’inciter les entreprises à rejoindre la démarche, notamment en tant que futures clientes potentielles des EBE, sur ces territoires densément peuplés, où voisinent personnes en difficulté et développement économique. D’autres territoires candidats, tels que le 17e arrondissement, sont également sur les starting-blocks.

Auteur

  • Dominique Perez