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Les clés

La santé des femmes au travail : le grand oubli

Les clés | À lire | publié le : 12.09.2022 | Lydie Colders

 

Dans Le deuxième corps, Karen Messing, ergonome et généticienne, relate ses combats pour obtenir des conditions de travail adaptées au corps et aux besoins des salariées. Édifiant sur l’invisibilité des femmes.

Les femmes comme les hommes exercent des métiers pénibles. Mais par crainte de se voir refuser un emploi ou de le perdre, les premières taisent davantage certaines souffrances… Sur le marché du travail, "leur corps féminin" est encore occulté. Certaines différences biologiques et sociales existent, mais restent taboues : "J’ai vu des travailleuses […] muselées par la honte d’être physiquement plus faibles, d’avoir leurs règles, de devoir quitter le travail en vitesse pour se rendre à la garderie avant la fermeture, d’avoir des bouffées de chaleur", raconte Karen Messing. Dans cet essai féministe, cette éminente généticienne et ergonome québécoise explique pourtant que travailler dans le froid, en horaires décalés, par exemple, intensifie les douleurs menstruelles ou perturbe les cycles. Ou que les femmes développent davantage de troubles musculosquelettiques (TMS) que les hommes. L’ouvrage rend compte de ses recherches menées auprès de techniciennes, agents d’entretien, opératrices ou caissières au Canada. Et démontre avec brio cet oubli des femmes dans la santé au travail. La liste est longue : installatrices ayant des ceintures trop lourdes, ouvrières équipées de clés trop grandes et intensifiant l’effort, planning fluctuant des centres d’appels épuisant pour les mères de famille. Le problème ? "Les espaces, les outils, les horaires, les équipes de travail ont été conçus dans un monde binaire dominé par les hommes", écrit-elle. Et son récit l’atteste, il reste difficile de mobiliser les employeurs sur ce sujet : "Il faut mener la lutte", amener les femmes à briser le silence et à "réclamer un environnement de travail adapté à leurs besoins", plaide-t-elle.

Mais la question reste sensible. Comment sortir de cette situation sans tomber dans la discrimination sexuelle ? Pour Karen Messing, la solution n’est pas d’obtenir des normes et des critères d’embauche différenciés selon le genre, comme le revendiquent certaines féministes. La réponse relève "de la justice organisationnelle" et politique. En entreprise, avoir des équipements adaptés selon le sexe et la taille de tous les salariés serait un minimum. Mais surtout, une gestion intelligente des ressources humaines devrait miser sur la diversité et "former des équipes régulières aux habilités complémentaires". Au passage, son livre passionnant tord le cou à certaines idées reçues. Si la force des femmes est différente, les mettre en bout de chaîne, à des postes dits "légers", ne signifie pas moins de douleur… Leur rythme de travail s’accélère et elles manipulent in fine plus de charges (lire l’exemple dans une imprimerie). "Comme beaucoup de travailleuses exécutant des tâches répétitives, des inflammations chroniques peuvent se déclencher des années plus tard", avertit-elle. L’invisibilité des femmes a-t-elle une influence dans la recrudescence de maladies professionnelles comme les TMS ? C’est "une évidence" pour la scientifique, qui pointe cependant le manque d’études. Sans clichés, cet ouvrage militant, sérieux, donne du grain à moudre aux DRH et aux syndicats.

Auteur

  • Lydie Colders