Manuel Lesaicherre, formateur à l’Ionis Éducation Group, Omnes Éducation (INSEEC Grande École) et conseiller auprès d’entreprises sur l’innovation numérique responsable, alerte sur le décalage entre enseignement et entreprise.
Non. La principale raison est que personne n’a une vision concrète de l’avenir des métiers. Entre 50 % et 60 % des métiers qui verront le jour dans les dix ans à venir n’existent pas encore. C’est d’autant plus vrai avec le numérique ou la RSE. Avant la crise sanitaire, le numérique était synonyme de visibilité en ligne, réseaux sociaux et community management. Aujourd’hui, le numérique est vital. Les entreprises doivent mettre en œuvre des plans gigantesques pour retransformer l’ensemble des outils internes (relations clients, facturation) et externes (site web et applications mobiles) nécessitant de l’intelligence artificielle (IA). Le besoin de designers et de développeurs n’a pas été anticipé. D’où la pénurie actuelle. Cette transformation s’accompagne d’une flambée des prix de l’énergie. Une récente mesure gouvernementale appelle les entreprises à désigner un « ambassadeur sobriété » qui veillera, entre autres, aux économies d’énergie. Or ces sujets (IA et RSE) sont largement absents des formations. Ils doivent être inscrits dans les troncs communs de l’enseignement dès le collège et cesser d’être des options ! En outre, il faut créer davantage de passerelles entre le monde professionnel et l’enseignement, dès que possible. Le stage d’une semaine en entreprise que doivent réaliser les élèves des classes de troisième est anecdotique.
Tout d’abord, il faut en finir avec le cours magistral de quatre heures. Des cours d’une durée de deux heures seront bien plus efficaces. Ce format doit s’accompagner d’interactions. Le cours passif est obsolète. La première chose que je dis à mes étudiants est : « Coupez-moi la parole. Il n’y a pas de mauvaise question. » Par ailleurs, les nouveaux formats de contenus (vidéos, podcast, contenus immersifs) doivent désormais être de vrais compléments aux cours classiques.
Mais pour que cela soit mis en place, il faut pouvoir disposer de plateformes capables d’héberger ces contenus. Il faut également recruter ou former des enseignants capables d’intégrer ces contenus dans leur parcours pédagogique. À défaut de trouver ces personnes ressources en interne, il faut un intervenant expert extérieur, issu du monde de l’entreprise. Enfin, les programmes doivent évoluer constamment. Alors qu’avant, ils étaient immuables, aujourd’hui, il faut les revisiter tous les ans. Prenons l’exemple d’un cours d’études de marché pour apprendre à fidéliser les consommateurs et trouver des prospects. Des questionnaires d’enquête existent depuis 30 ans. Or d’autres méthodes doivent compléter ces outils, comme le social listening (qui consiste à « écouter » les conversations en ligne, c’est-à-dire à analyser tout ce que disent les internautes sur un sujet, une marque…). Des millions de conversations, sur les réseaux sociaux, les blogs et les vidéos concernent des entreprises comme Coca-Cola ou Orange. Il faut pouvoir les analyser pour parfaire son étude de marché. Seuls de puissants algorithmes sont capables de le faire. Face aux méthodes traditionnelles toujours d’actualité (les questionnaires qui nécessitent un mois pour livrer des résultats), il est impératif d’intégrer de nouveaux outils (l’IA, avec des données obtenues en temps réel) dans les parcours scolaires.
Nous pensons à tort que c’est une vraie bonne solution pour avoir un pied dans l’entreprise. Bien souvent, les entreprises considèrent les apprentis comme des salariés à temps plein. Or ils restent des apprentis et donc des étudiants encore en formation ! Ils sont là pour apprendre. Parmi mes étudiants, certains ont eu des missions à responsabilités qu’ils n’ont pas pu gérer.
Le monde de l’entreprise commence enfin à s’intéresser à autre chose qu’au CV ou au diplôme… Les bonnes questions que se posent certains recruteurs sont : « Est-ce quelqu’un qui sait gérer le stress ? », « Est-il curieux ? ». Les DRH ont eu tendance à oublier que le succès d’une équipe repose sur les relations humaines.