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Quand la vue nous aveugle : mobilisons tous nos sens pour mieux agir et décider !

Chroniques | publié le : 12.09.2022 |

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Quand la vue nous aveugle : mobilisons tous nos sens pour mieux agir et décider !

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Verity Smith Sportive équestre de haut niveau non voyante, conférencière et formatrice ; Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris

Le handicap peut devenir une force pour l’entreprise, comme le montre l’exemple de Verity Smith, devenue aveugle à l’âge de 8 ans, aujourd’hui sportive équestre de haut niveau, conférencière et formatrice1. La déficience visuelle touche en effet aujourd’hui en France près de 1,7 million de personnes, dont 207 000 totalement aveugles et malvoyants profonds2. L’exemple de Verity nous montre en effet que ce handicap majeur, puisqu’il constitue à lui seul 80 % des sens que nous utilisons, peut représenter un véritable atout pour l’entreprise – pour peu que nous sachions davantage mobiliser nos autres sens pour agir et décider en tant que manager ou collaborateur. Le choix a été fait de lui laisser la parole pour nous donner des leçons de vie dans un environnement professionnel marqué trop souvent par la seule apparence visuelle, comme le dénonçait il y a déjà 20 ans un livre sur la discrimination à l’embauche et dans la gestion des carrières3. Écoutons maintenant Verity Smith :

« Née avec une vue parfaite, ce n’est qu’à l’âge de 8 ans, lorsque j’ai commencé à devenir aveugle, que j’ai réalisé à quel point ma vision du monde était devenue étroite. Cependant, alors que mes yeux s’endormaient, mes autres sens se sont éveillés et m’ont permis d’explorer chaque expérience à travers une palette sensorielle plus large et plus colorée. J’étais riche : oui, j’avais perdu un sens mais, enfin, j’ai reconnu la valeur de mes autres sens… Perdre la vue m’a permis de me concentrer, de prendre du courage et de découvrir ma force en tant qu’individu. Je voyais le fait de devenir aveugle comme un simple défi – comme une aventure sensorielle qui ouvre les yeux… Cela signifiait que mes autres sens étaient forcés de prendre les choses en main, m’apprenant ainsi à identifier les gens et à les placer d’une manière différente… Si je ne pouvais pas passer à travers, je devais me déplacer en utilisant mes autres sens. J’ai aussi commencé à percevoir les gens différemment. Ne pouvant plus évaluer visuellement les personnes devant moi par leur apparence, j’ai dû écouter et mobiliser mes autres sens, ce qui signifie que j’ai acquis un meilleur “sens” de ces personnes. J’ai répondu à leurs paroles et à leurs actions, pas à leur apparence. »

Transposé dans le monde de l’entreprise, le message de Verity est que nous devons chercher à dépasser la primauté du visuel pour mobiliser d’autres sens, y compris l’intuition, souvent présentée comme le 6e sens au-delà des 5 sens définis depuis Aristote (vue, ouïe, goût, odorat, toucher), pour agir et décider. Elle nous invite ensuite à prendre du recul par rapport à un monde où l’image prime sur tout, comme elle le dit elle-même : « Nous vivons dans un monde très réactif et jetable, saturé de stimuli visuels qui peuvent nous laisser aveuglés par le “visuel” dans notre vie personnelle et professionnelle. Nous clignons des yeux et nous cliquons, c’est-à-dire que nous nous en allons en un clin d’œil ou en un clic de souris. Nous pouvons être coupables de seulement parcourir visuellement la vie et d’entretenir des relations qui négligent souvent le potentiel et le sens… L’espace de travail est devenu anormalement bidimensionnel, en raison de notre utilisation étendue des écrans qui, à son tour, a aplani la dynamique de nos relations avec nos collègues… Afin de réaliser son potentiel et ainsi maximiser la productivité et le rendement créatifs des équipes, chaque personne doit se sentir valorisée, confiante et comprise. Cela ne peut se produire que si le temps est pris pour former une vision sensorielle holistique des personnes et des situations, en utilisant tous nos sens en équilibre, y compris l’instinct ou l’intuition. »

Ici aussi, Verity nous donne une leçon de vie importante pour les entreprises : le monde professionnel est marqué par la dictature de l’urgence4 et la superficialité du visuel, comme on peut l’observer avec l’explosion de l’usage des réunions en visioconférence depuis la pandémie, d’Instagram et bientôt du Métaverse pour révolutionner l’expérience client et collaborateur5. Elle nous incite à avoir une vision holistique des personnes et des situations par une mobilisation de tous nos sens pour mieux agir et décider !

Laissons à Verity le mot de la fin : « Si nous prenons le temps de “regarder” avec une perspective différente, d’accepter et de nous adapter à nos limites (qu’elles soient physiques ou émotionnelles), nous trouvons le moyen de contourner les limites de ces limites et de les dépasser. »

[1] Voir le site de Verity : https://www.veritysmith.me

[3] Amadieu, J.F. : Le poids des apparences : beauté, amour et gloire, Odile Jacob, 2002.

[4] Aubert, N. Le culte de l’urgence : la société malade du temps, Flammarion, Coll Champs, 2009.

[5] Foache, S. &Besseyre des Horts, CH. : « Le Métaverse : une révolution pour l’entreprise et les RH mais pas sans enjeux », Entreprise & Carrières, n° 1581, du 20 au 26 juin 2022, p. 22.