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Les accidentés du travail sortent de l’ombre

Les clés | À lire | publié le : 05.09.2022 | Lydie Colders

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Les accidentés du travail sortent de l’ombre

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Loin des chiffres, cette enquête de la sociologue Véronique Daubas-Letourneux éclaire la réalité des accidents du travail, à travers le vécu d’employés. Des récits éclairants sur la pression, voire l’attitude peu scrupuleuse de certains employeurs…

Les décès d’ouvriers sur le chantier du Grand Paris en sont hélas la preuve. Malgré les obligations de l’employeur, les accidents du travail restent massifs en France : sur près de 900 000 cas recensés par la caisse d’assurance maladie en 2019, on comptait « 12 500 accidents par semaine avec arrêt ». Pis, dans l’indifférence, 733 salariés sont morts d’un accident du travail cette année-là, « soit 14 personnes par semaine », rappelle Véronique Daubas-Letourneux. La France est non seulement mauvaise élève en Europe, mais la sous-reconnaissance des accidents professionnels renforce l’invisibilité du problème. Pour éclairer « ce fait social » interrogeant l’organisation du travail, cette sociologue spécialisée dans la santé publique et du travail donne la parole à ces accidentés, légers ou sérieux. Dans cette enquête, elle a suivi pendant trois ans une trentaine d’employés, de leur accident jusqu’à leur reprise du travail. Côté circonstances, les témoignages édifiants pointent l’urgence de tenir les délais ou le manque d’effectifs : comme Franck, ambulancier, qui s’est fait un lumbago en soulevant avec un collègue un malade lourd : « On fait toujours un transfert à deux, ce n’est pas assez », dit-il. Ou Frédéric, chef de ligne dans un abattoir, qui a déjà eu quatre accidents du travail sévères en se pressant : « Le samedi matin, on n’est pas beaucoup » et « il y a toujours autant de travail ». Pour la sociologue, on ne peut se réfugier derrière « les risques du métier ». L’intensification du travail actuel, quitte à s’affranchir des consignes de sécurité, « aggrave » le danger. Et les jeunes ne sont pas épargnés. Véronique Daubas-Letourneux rend compte d’accidents stupéfiants d’apprentis ou de débutants dans l’industrie ou le BTP, manipulant parfois des engins sans permis, au mépris des règles de sécurité. Des infractions claires au Code du travail.

« Arrangements » et « déni »

La « notion de faute inexcusable », engageant la responsabilité de l’employeur, a été maquillée pour quatre des jeunes interviewés, selon la chercheuse. Bien que le système de cotisations à l’assurance accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) incite les employeurs à miser sur la prévention, elle dénonce un système « de non-déclaration organisée » dans certaines entreprises. D’autres secteurs (distribution) traîneraient les pieds. Hervé, gestionnaire de stock dans un hypermarché, qui s’est foulé la cheville en tombant d’un escabeau trop petit, évoque une gestion désastreuse des équipements de sécurité, malgré les demandes syndicales. Alors que certains salariés gardent des séquelles de leur accident des années plus tard, ou les enchaînent « en raison d’un retour trop rapide », la sociologue montre aussi des aménagements de poste à la peine. Son livre appelle à sortir d’un certain « déni » côté employeurs. Et surtout du côté des pouvoirs publics. L’auteure décrypte fort bien un système de reconnaissance des accidents du travail qui masque l’ampleur du problème…

Auteur

  • Lydie Colders