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Le grand entretien

« Le “lean” est une philosophie qui repose sur l’humain »

Le grand entretien | publié le : 05.09.2022 | Frédéric Brillet

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« Le “lean” est une philosophie qui repose sur l’humain »

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Dans leur livre Le lean management au cœur des services – Rendre l’entreprise meilleure, paru en juillet 2022 chez Alisio, Olivier René et Bertrand De Graeve expliquent comment cette philosophie de gestion de l’entreprise peut apporter, au-delà de la performance, le sens désormais exigé par les collaborateurs – à condition d’être bien appliquée… Née dans la construction automobile japonaise, elle peut s’étendre à tous les secteurs.
 
Quels sont les fondements du lean management ?

Le lean management organise l’entreprise de manière à ce qu’elle réponde au mieux aux besoins du client et maximise sa satisfaction. Aussi une entreprise convertie au ’lean’ se structure-t-elle autour d’une logique d’amélioration continue, portée par l’ensemble des salariés. Dans cette perspective, l’objectif n’est pas d’être bon, mais d’être chaque jour meilleur, conformément à la philosophie du kaizen, qui désigne la méthode de gestion de la qualité fondée sur une multitude de petites améliorations quotidiennes. Pour nourrir ce processus, l’entreprise lean ne cherche pas à contrôler les collaborateurs dans chacune de leurs tâches. Bien au contraire, elle vise à développer leur autonomie en améliorant leurs compétences et en élargissant leur périmètre de responsabilité. Sur tous ces points, elle s’oppose à l’entreprise taylorienne où l’encadrement définit la manière de faire et où les employés exécutent des tâches élémentaires fragmentées et répétitives afin d’optimiser la productivité.

Pourtant, au XXIe siècle, l’entreprise taylorienne se révèle finalement moins performante que l’entreprise lean…

En effet, si vous divisez à l’extrême les tâches ou les services, vous aboutissez à une organisation très cloisonnée et peu agile, à une grosse structure unique très segmentée par la division du travail, avec des collaborateurs peu polyvalents qui ont perdu le sens de leur travail pour le client. Le lean, à l’opposé, privilégie un travail flexible en équipe qui peut prendre en charge une partie plus grande du processus. Ainsi, il peut y avoir plusieurs petites structures autonomes qui fonctionnent en parallèle, dévolues à des clients, ou à certains types de services ou de produits. Plus performante sur le plan économique, l’entreprise lean contribue aussi à préserver l’emploi local. L’une des meilleures illustrations est l’usine Toyota de Valenciennes qui montre depuis plus de vingt ans sa capacité de fabriquer une voiture comme la Yaris de manière profitable et durable, alors que dans le même temps les constructeurs français ont largement délocalisé.

Le lean supprime des gestes inutiles pour le personnel, mais certains sociologues, ergonomes et syndicalistes affirment qu’il contribue souvent à l’intensification du travail et donc à une plus grande fatigue. Que répondez-vous à ces critiques ?

Cette dérive survient quand l’entreprise applique mal ou de manière partielle les principes du lean management. Ainsi, avant de chercher à réduire des déplacements ou des mouvements inutiles pour améliorer la productivité, la priorité est de rendre le travail plus ergonomique, moins stressant et fatigant. Beaucoup de cabinets de conseil ou d’ouvrage sur le lean mettent l’accent sur ’la chasse aux gaspillages’, en omettant complètement ’la chasse à la surcharge’. C’est souvent là que le bât blesse. Pour éviter cette dérive, Toyota invite ses collaborateurs à identifier par eux-mêmes les sources de gaspillage, d’irritation ou de fatigue.

Autre critique, le lean, en accroissant la productivité, peut se traduire par des suppressions d’emplois, voire des licenciements dans les entreprises concernées…

Avec le lean management, les collaborateurs sont les premiers acteurs de l’amélioration de la performance de leur entreprise. Une vraie démarche lean n’aboutit jamais à un plan social, au contraire, elle permet de renouer avec la croissance. Mais là encore, attention de ne pas mettre sous la bannière du lean des entreprises qui procèdent en fait à des restructurations pour réduire les coûts et les emplois.

Comment le lean aborde-t-il la question du sens du travail et de la motivation ?

C’est l’un des deux piliers du lean chez Toyota : celui du ’jidoka’ qui a malheureusement toujours été très mal compris car très mal traduit en français par « autonomation » ou « séparation de l’homme et de la machine ». Taiichi Ohno, le dirigeant qui a structuré le lean chez Toyota dans les années 50, en a donné une signification bien plus riche : « Que chaque collaborateur puisse par lui-même donner plus de sens à son travail. » Cela n’a pas la même profondeur, ni la même ambition ! Et bien sûr, pour accompagner cet objectif, le lean a une conception singulière du management, avec des postures, des comportements, un savoir-être particuliers pour les managers comme pour les collaborateurs. Ainsi, de manière très pragmatique, donner plus de sens à son travail peut se décliner suivant les trois significations du mot sens. La première renvoie à la « sensualité » du travail et donc aux conditions dans lesquelles il s’exerce. Il s’agit de favoriser l’ergonomie, une bonne ambiance, de réduire le stress ou la surcharge… Le sens du travail se trouve aussi dans le pourquoi du travail : l’approche lean qui fait la chasse au gaspillage et propose une division moins poussée des tâches permet de répondre plus facilement à cette question. Enfin, le sens du travail, c’est aussi la direction, là où mon travail me mène. En encourageant l’apprentissage et l’autonomie, le lean contribue aussi au développement de chaque collaborateur, à le faire avancer dans sa vie professionnelle.

Quels principes faut-il avoir en tête lors de la mise en oeuvre opérationnelle d’un processus de lean management ?

Comme pour toute transformation, chaque entité ou entreprise aura un chemin particulier à trouver. Car si la destination lean est sensiblement la même pour tout le monde, le point de départ sera singulier pour chacun à partir de l’histoire, des valeurs ou du contexte dans lequel on aborde cette transformation. Mais il est certain qu’une transformation lean doit avant tout être concrète et porter sur des améliorations opérationnelles très visibles et qui parlent aux collaborateurs. A partir d’un focus précis, on pourra ensuite s’étendre à l’ensemble de l’entreprise. Nous ne croyons pas aux gros chantiers de transformation corporate, avec une promesse de devenir meilleur sans faire de lien avec des problématiques précises qui sont par nature différentes suivant le poste que l’on occupe dans l’entreprise. Si la transformation opérationnelle doit débuter en bas dans l’entreprise au plus près du terrain, la transformation culturelle doit, elle, commencer au plus haut, par le top management de l’entreprise. Sinon, c’est l’échec quasi assuré…

Les auteurs

Olivier René débute sa carrière comme ingénieur chez un équipementier automobile, avant de rejoindre, en 1998, la toute première équipe Toyota pour ouvrir l’usine de Valenciennes qui produit la Yaris. En tant que directeur du contrôle qualité, il est ainsi formé à la pratique du lean chez Toyota pendant 10 ans. Par la suite, il rejoint le monde des services et de la grande distribution, puis crée en 2019 son cabinet de conseil, Kaizenco.

Bertrand De Graeve découvre le lean dans la grande distribution en tant que chef de secteur. Il poursuit son parcours comme directeur qualité et méthodes avant de rejoindre un cabinet de conseil expert en lean management. En 2021, il fonde Cap Kaizen pour accompagner ses clients dans la mise en œuvre de démarches d’amélioration continue.

Auteur

  • Frédéric Brillet