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Le grand entretien

« Nous ne préparons pas suffisamment les générations futures »

Le grand entretien | publié le : 29.08.2022 | Frédéric Brillet

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« Nous ne préparons pas suffisamment les générations futures »

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Nicolas Hazard, auteur de Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? 21 métiers du futur à l’ère des robots et de l’Intelligence artificielle, paru en mai 2022 chez Flammarion, décrypte les changements qui attendent les jeunes dans un monde du travail marqué par la quatrième révolution industrielle.

Quel lien peut-on établir entre ce livre et votre parcours professionnel ?

Devant les désastres en cours, notamment la crise climatique et la hausse des inégalités, j’ai toujours considéré que les solutions existent et qu’il faut accompagner celles et ceux qui les portent. C’est pourquoi j’ai créé INCO, qui, à travers ses investissements et ses incubateurs, accélère partout dans le monde le développement d’entreprises à fort impact, pour construire une économie plus durable et plus équitable. Ces entreprises qui contribuent à l’avènement de l’économie de demain, celle de la transition écologique mais aussi de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotique, vont bouleverser le marché du travail. Des métiers vont disparaître, et d’autres vont naître : tout l’enjeu est de préparer les travailleurs – et notamment les plus fragiles d’entre eux – à ces évolutions.

Pourquoi raconter des parcours pour évoquer ces métiers ?

J’ai voulu donner à voir concrètement les personnes qui exercent aujourd’hui des métiers préfigurant ceux de demain afin que chacun puisse se projeter. Aujourd’hui, nous ne préparons pas suffisamment les générations futures aux bouleversements à venir. Face à l’IA et à la robotique, nous allons devoir développer massivement de nouvelles compétences, notamment les soft skills – l’empathie, la collaboration, l’imagination… – plutôt que d’accumuler des connaissances. Et nous allons devoir également nous former tout au long de la vie. Les 21 portraits du livre sont ceux d’hommes et femmes qui accompagnent très concrètement l’émergence d’une nouvelle économie.

Vous relevez que les changements à venir vont se faire à un rythme exponentiel…

Contrairement aux périodes précédentes, où l’innovation progressait de manière linéaire, l’IA nous fait avancer à pas de géant, car elle a la capacité d’apprendre et d’évoluer par elle-même. En outre, parce que couplées, IA et robotique sont en mesure d’exécuter des actions extrêmement diverses plutôt que de s’en tenir à des protocoles décidés lors de leur conception. Ces avancées, nous en sommes témoins dans nos voitures, de plus en plus autonomes, comme dans nos foyers, avec les assistants vocaux, par exemple. Par ailleurs, la transition écologique est un formidable accélérateur de changement : voyez à quelle vitesse se développe la voiture électrique… Il sera donc impossible demain pour un actif de s’endormir sur ses lauriers, il devra en permanence réviser ses acquis, développer de nouvelles compétences. La culture apprenante, mais aussi l’éthique et la quête de sens occuperont une place prépondérante. Ces compétences exigeront de mettre en place de nouvelles modalités d’apprentissage, et ce, dès le plus jeune âge, pour préparer les futurs actifs à rebondir dans leur vie professionnelle.

Sur quoi fondez-vous votre optimisme, alors même qu’un rapport de McKinsey sur le futur du travail estime que l’IA et la robotisation vont détruire bien plus de postes qu’ils n’en créeront ?

Les périodes de transition sont complexes. Le rapport McKinsey est effectivement plutôt pessimiste, mais le Forum économique mondial estime quant à lui que si 75 millions d’emplois à travers le monde vont disparaître du fait de l’automatisation, 133 millions vont être créés dans le même temps. C’est ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelle la « destruction créatrice ». Rien ne permet d’affirmer que les nouvelles technologies auront un effet négatif sur l’emploi. Au Japon, l’un des pays les mieux dotés en robots, le chômage n’a jamais dépassé la barre des 6 % et plafonnait même à 3 % en 2021. L’enjeu – et c’est tout l’objet de mon livre – c’est d’anticiper cette tendance et de permettre à chacun de se former à de nouveaux métiers et ce, tout au long de la vie. Regardez le webmaster des débuts d’Internet, métier qui paraissait destiné à un brillant avenir : il s’est, au fil des années, détricoté et ventilé en social media manager, community manager, content manager, responsable éditorial web, référenceur, web designer… Il y a fort à parier que la quatrième révolution industrielle suive le même chemin, mais de manière bien plus rapide, en supprimant nombre de métiers non qualifiés. Et puis, pourquoi faudrait-il s’attrister que les tâches souvent les plus pénibles et ingrates soient confiées aux machines, si on accompagne les personnes concernées dans leur reconversion ? Des qualifications intermédiaires voire élevées, comme les juristes, les radiologues, les techniciens expérimentés, seront à terme affectées par l’IA, qui pourrait les surpasser sur certaines recommandations, analyses ou diagnostics… C’est vrai : les technologies de la deuxième et troisième révolution industrielle ne concurrençaient que les cols bleus, celles de la quatrième révolution affecteront aussi les cols blancs, et aucun secteur ne semble a priori épargné. Déjà, nombreux sont les professionnels de santé qui imaginent mal le futur de leur profession se faire sans l’IA. Le secteur juridique va connaître également de grands bouleversements. Pour autant, cela veut-il dire que les robots remplaceront médecins et juristes ? Je ne le pense pas. C’est le partage des tâches qui va être reconfiguré : les médecins verront une partie de leur temps libéré au profit d’une meilleure prise en charge de leurs patients, et les juristes de leurs clients ! Souvenons-nous que dans les années 1970, l’installation des distributeurs automatiques de billets faisait craindre la disparition du métier de banquier. C’est tout le contraire qui s’est passé. Paradoxalement, les machines vont nous rendre diablement plus humains ! Nous aurons toute notre utilité et toute notre place dans un monde peuplé de robots, car les compétences humaines liées à la résolution de problèmes complexes, comme l’esprit critique ou d’initiative, mais aussi nos facultés cognitives et émotionnelles, la capacité d’influence et de leadership l’emporteront encore sur les machines.

Vous constatez dans votre livre que les métiers du futur se trouvent dans tous les secteurs, y compris les plus traditionnels…

J’ai rencontré des femmes et des hommes qui construisent, chacun à sa manière, la transition écologique et qui, ce faisant, inventent leurs propres métiers. Petite-fille d’agriculteurs, Amélie travaille pour Futura Gaïa. J’y suis allé et je peux vous dire que c’est très impressionnant, on a vraiment l’impression d’être dans la ferme du futur ! Dans de grands hangars, de grands cylindres sont superposés, chacun contenant des salades, des tomates cerises, des fraises… Dans chacun de ces cylindres, les conditions climatiques sont idéales pour que les plants se développent : une grosse lampe reproduit la lumière du soleil pendant qu’un système d’arrosage distribue au compte-gouttes la quantité d’eau optimale. Trois ouvriers agricoles s’occupent de la supervision de l’ensemble de la production pendant que des robots déplacent les cylindres quand c’est nécessaire. Pas besoin de venir travailler le week-end, la ferme se gère via smartphone, ce sont les robots qui bossent. Quant à l’impact environnemental, il est significatif : pour un hangar de 1 000 m2, on peut cultiver soixante fois plus de fraises que sur un sol traditionnel ! La consommation d’eau nécessaire pour faire pousser une salade est deux fois moins élevée qu’en serre, et vingt fois moins qu’en plein champ ! Amélie préfigure ce que pourront être les agriculteurs de demain, à la fois connectés, soucieux de leur impact environnemental et acteurs majeurs de l’intérêt général car contribuant à nourrir l’humanité. Autre exemple, les secteurs du care, du service à la personne et de la santé auront besoin de professionnels capables d’exprimer leur empathie, de l’écoute et un sens du service, notamment dans les soins aux personnes âgées, ce que ne pourra pas faire l’IA. L’environnement constitue aussi une source incroyable de nouveaux métiers et d’emplois, qu’il faut, dès à présent, anticiper collectivement. L’un des jobs de notre avenir sera celui de « dépollutionneur ». Sa mission sera de nettoyer les milliards de déchets que nous produisons, qu’ils soient enfouis ou à la surface des océans, une tâche facilitée par les progrès dans la connaissance des bactéries et des insectes. De son côté, le secteur défense recrute déjà des « cybercombattants » qui travaillent à sécuriser les systèmes d’information de l’armée et à neutraliser les moyens numériques des adversaires.

À l’avenir, nous changerons sans doute plus souvent de métier, mais quid des hiérarchies entre métiers ?

Les distinctions entre métiers intellectuels et manuels perdureront probablement, mais l’image des seconds pourrait être revalorisée. D’abord parce que certains professionnels habiles de leurs mains demeureront indispensables. Nous aurons toujours besoin d’un plombier qui vient nous dépanner pour réparer une fuite. Mais surtout, cet artisan sera un plombier « augmenté », utilisant des technologies de pointe – de minuscules robots, par exemple – pour résoudre des fuites plus ou moins complexes. Prenez également le mécano auto : hier, il lui fallait être doté de solides compétences mécaniques pour réparer une voiture, aujourd’hui, et plus encore demain, il lui faudra également avoir de solides compétences informatiques pour réparer – ou plutôt reprogrammer – des voitures bourrées de nouvelles technologies. Nombreux sont les artisans qui vont utiliser les avancées scientifiques et techniques pour étendre leurs capacités. Là aussi, je suis optimiste : plutôt que de subir les machines, ils pourront les mettre au service de la valorisation de leur travail, ou plus encore, d’une dextérité et d’une acuité gestuelle augmentée.

Parcours

Diplômé d’HEC et de Sciences Po Paris, Nicolas Hazard a créé et dirige INCO, un groupe mondial qui construit une nouvelle économie, écologique et solidaire, à travers ses activités d’investissement, d’incubation, de conseil et de formation. En 2020, il a par ailleurs été nommé conseiller spécial en charge de l’économie sociale et solidaire auprès de la présidente de la Commission européenne. Fondateur de l’événement Impact, il a été élu en 2015 « Young Global Leader » par le Forum économique mondial. Il a publié deux autres ouvrages : Appel à la guérilla mondiale (Débats Publics, 2019), un manifeste pour une révolution écologique mondiale, et Le bonheur est dans le village – 30 solutions qui viennent de nos campagnes (Flammarion, 2021), un plaidoyer en faveur des solutions issues de nos campagnes et qui changent le monde.

Auteur

  • Frédéric Brillet