Dans le contexte actuel de forte inflation, l’exécutif cherche des pistes immédiates. Intéressante à plus d’un titre, en particulier pour la motivation des collaborateurs, la participation des salariés au capital des entreprises peut être une solution révolutionnaire – mais de long terme.
Lors de la dernière campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron expliquait vouloir mieux partager la valeur des entreprises, en développant le « dividende salarié »*. Son principe : lorsque les actionnaires se voient attribuer un dividende, que les salariés aussi en bénéficient… Le 9 juin dernier, le président de la République réélu est revenu à la charge et a annoncé une réforme « dès cet été » pour mettre en œuvre cette mesure.
Les contours techniques du « dividende salarié » ont été dévoilés dans le projet de loi « pouvoir d’achat », déposé le 7 juillet dernier à l’Assemblée et qui vise avant tout à répondre à l’inflation de ce milieu d’année. Et exit, finalement, le projet de création d’un véritable dividende salarié. Le texte ne prévoit en effet que la transformation de la « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » (PEPA, dite prime Macron) en « prime de partage de la valeur » (PPV), mais sans en changer le fond : ce sont les employeurs qui décident de verser la prime, laquelle peut être exonérée de cotisations si elle ne dépasse pas un certain plafond.
Cette prime n’étant pas liée à la possession d’actions par le salarié, elle ne peut donc pas porter le nom de « dividende »… L’article 3 du projet de loi prévoit en outre une « promotion de la diffusion de l’intéressement », autre dispositif d’épargne salariale beaucoup moins engageant pour les entreprises, car non obligatoire, contrairement à la participation. Le projet de loi vise clairement à améliorer la fin du mois des Français, alors que l’idée du véritable dividende salarié relève du long terme.
Le gouvernement semble d’ailleurs avoir complètement mis de côté l’actionnariat salarié, dispositif plus large qui permet par nature le versement de dividendes aux salariés, alors que c’était pourtant l’une des priorités du premier quinquennat. En décembre 2017, en effet, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, annonçait vouloir atteindre 10 % de la capitalisation des entreprises détenue par les salariés en 2030. Dans ce cas, les collaborateurs deviennent donc actionnaires et, dans les organisations les plus ouvertes, même membres du conseil d’administration.
Mieux encore, en plus de motiver les collaborateurs (lire encadré), l’actionnariat salarié peut potentiellement entraîner un véritable changement dans le fonctionnement des organisations. « Cela permet non seulement de faire davantage bénéficier les salariés de la valeur créée, mais aussi de renforcer la confiance que les salariés ont dans leur entreprise et son développement. Cela implique pleinement les salariés dans l’avenir de celle-ci », expose Loïc Desmouceaux, président de la Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS). Autant dire que l’actionnariat salarié, en plus de devenir un argument de recrutement (lire interview), aurait ce pouvoir de réconcilier, in fine, capital et travail, deux notions qui sont si souvent opposées en France.
Reste que l’objectif de 2017 est loin d’être atteint : d’après le recensement de la Fédération européenne de l’actionnariat salarié (FEAS), la part détenue par les collaborateurs dans les grandes sociétés françaises est passée de 6,02 % en 2016 à 4,65 % aujourd’hui. Mathieu Chauvin, président du groupe Eres, un cabinet de conseil en actionnariat salarié, le reconnaît. « Il nous reste, à tous, pas mal de chemin à faire », dit-il. Selon les calculs de la FAS, l’actionnariat salarié dans toutes les entreprises, qu’elles soient grandes, petites, cotées ou non cotées, doit être multiplié par trois.
Si l’objectif gouvernemental en capital détenu est encore loin, le nombre de plans, dans les entreprises françaises, continue cependant de croître. Dans les PME non cotées, l’actionnariat salarié a doublé entre 2015 et 2021, d’après la dernière étude Eres. Une bonne dynamique toute relative. Ainsi, au Royaume-Uni, ce chiffre a été multiplié par huit sur la même période… Pour Loïc Desmouceaux, cela s’explique par une différence de politique : « Dans les pays anglo-saxons, les dispositifs d’ouverture de capital sont très orientés vers les PME. Aux États-Unis, typiquement, les chefs d’entreprise qui partent à la retraite et n’ont pas de successeur préfèrent souvent la transmettre aux salariés plutôt que de faire entrer un fonds d’investissement ou vendre à un inconnu. Mais cela ne marche que s’il y a un levier fiscal intéressant », dit-il.
Et les efforts de la loi Pacte, visant à pousser la création de fonds communs de placement d’entreprise abondés par l’épargne salariale, n’ont visiblement pas suffi. « Nos entreprises sont de plus en plus actives à l’international. Elles ont donc aussi besoin d’associer leurs collaborateurs à l’étranger. Une société française qui met en place un plan d’actionnariat salarié en France doit pouvoir le mettre en place dans les autres pays de manière beaucoup plus simple », tranche ainsi Mathieu Chauvin.
Enfin, les entreprises familiales restent encore à convaincre… « Le capital y est considéré comme étant du ressort de la famille », analyse Loïc Desmouceaux. Un frein majeur au développement de l’actionnariat salarié dans ces structures que Mathieu Chauvin constate aussi : « Il y a un sentiment de la perte de contrôle de la gouvernance ou d’obligations de transparence que ces chefs d’entreprise n’avaient pas eues jusqu’ici, dit-il. Ce sont de vraies étapes psychologiques. Pour les franchir, la question à poser à l’actionnaire familial est : suis-je mieux en étant propriétaire de 100 % de quelque chose qui vaut 100 ou d’être propriétaire de 90 % de quelque chose qui vaut 200 ? Tout l’enjeu est d’être convaincu que l’actionnariat salarié apporte de la valeur et en crée dans la durée. » Une valeur qui aura du sens pour le pouvoir d’achat du salarié est donc un enjeu de taille qui nécessite, pour le législateur, de penser davantage au temps long.
Les sciences économiques s’intéressent depuis de nombreuses années à l’impact de l’actionnariat salarié. La thèse de doctorat d’Amal Hili, en 2013, revient sur les principales études en la matière(1), qui ont démontré les effets positifs de l’actionnariat salarié sur les attitudes au travail des collaborateurs : satisfaction, motivation, implication et sentiment de propriété. La productivité elle aussi augmente. En 1995, Derek Jones et Takao Kato « ont noté une augmentation de 4 % à 5 % de la productivité des salariés dans les entreprises disposant d’actionnariat salarié », relève Amal Hili.
Dans un article plus récent, paru le 22 décembre dernier, les chercheurs Cécile Cézanne et Xavier Hollandts(2) montrent un « effet positif de l’actionnariat salarié sur la performance de l’entreprise, quel que soit l’indicateur de rentabilité retenu ». Des résultats dans la droite ligne de la littérature économique publiée jusqu’ici sur le sujet : la participation des salariés au capital contribue à générer de la performance et des profits. En revanche, les résultats de la même étude indiquent que « la seule présence, toutes choses égales par ailleurs, des salariés au conseil d’administration n’a pas d’effet direct significatif sur la performance de l’entreprise ».
* L’idée originale de dividende salarié vient de l’ancien numéro deux du Medef et entrepreneur Thibault Lanxade (voir Entreprise & Carrières n° 1554). Elle consiste, en résumé, à une généralisation du mécanisme de participation.
(1) Aix-Marseille Université, université de Sousse, Amal Hili (2013), Essais sur les incitations salariales.
(2) Cézanne, C. & Hollandts, X. (2021). Employee Participation in Corporate Governance : What Impact Does It Have on Performance and Cash Distribution Policy in the SBF 120 (2000-2014) ? Économie et Statistique/Economics and Statistics, 528529, 85–107. doi : 10,241 87/ecostat.2021.528d.2061.