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Grands dossiers de la rentrée : Gestion des temps

« Le CET universel permettrait d’équilibrer vie personnelle et professionnelle »

Grands dossiers de la rentrée : Gestion des temps | publié le : 25.07.2022 | Natasha Laporte

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Entretien croisé : « Le CET universel permettrait d’équilibrer vie personnelle et professionnelle »

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Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT, et Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH, détaillent les enjeux d’un compte épargne-temps pour tous et les défis à relever pour la mise en place d’un tel dispositif.
 
Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a prôné l’idée d’un compte épargne-temps universel, portable et monétisable pour l’ensemble des entreprises et tout au long de la carrière. Quelle est votre vision d’un tel dispositif et quels en seraient les bienfaits ?

Benoît Serre : Pour une partie des salariés, l’avenir passe par un mode de travail plus autonome, dans la liberté d’organisation, notamment grâce au télétravail, mais pas uniquement. Par conséquent, c’est plutôt une bonne idée de laisser les collaborateurs libres de choisir où ils affecteraient du temps pour pouvoir le récupérer plus tard, en mettant de côté des RTT, des congés… afin de pouvoir, au moment souhaité, prendre des jours ou quelques semaines sans consommer pour autant leur solde de vacances. D’autres pourraient avoir la liberté d’accumuler du temps pendant toute leur vie professionnelle et partir plus tôt à la retraite. Tout cela reste à préciser, mais il s’agirait d’une épargne-temps permettant de choisir le modèle d’utilisation de ce temps. Aujourd’hui, le CET existe déjà dans certaines entreprises, mais il est assez contraint, car soumis à des règles et des accords, tandis que la monétisation passe par la Caisse des dépôts. Pour une entreprise, c’est compliqué sur le plan technique. Rénover ce modèle serait adapté au monde du travail qui arrive. Néanmoins, il faudrait mettre une limite, pour ne pas pouvoir épargner 100 % des congés ou des RTT – car les salariés ont besoin de repos.

Catherine Pinchaut : Nous sommes favorables à un CET universel. En effet, depuis notre congrès de Rennes en 2018, nous portons le projet de « Banque des temps », qui permettrait de répondre aux besoins de se réapproprier une certaine maîtrise du temps de travail et d’équilibrer vies personnelle, professionnelle, familiale, sociale, d’autant que cet aspect prend davantage de place depuis la crise sanitaire. L’idée, pour nous, serait de sortir d’une vie articulée autour de trois temps – études, travail, retraite. Par exemple, au début de la vie professionnelle, lorsqu’on n’a pas encore de charge familiale, on pourrait mettre du temps de côté sur la base des jours RTT, de la 5e semaine de congés payés ou en transformant les primes, la participation ou l’intéressement en temps pour piocher dans ce CET universel au moment où l’on en aurait besoin pour se consacrer à la famille. Autre cas d’utilisation potentielle, lorsqu’on aurait envie de se reconvertir et de compléter une formation, si le CPF ne suffit pas, ou pour passer à temps partiel pour des raisons personnelles, accompagner ses parents ou des membres de sa famille – le congé proche aidant étant encore assez peu rémunéré –, ou partir à la retraite plus tôt, voire se consacrer à un engagement bénévole citoyen. Le tout pourrait également être un élément d’attractivité pour l’entreprise, en plus de contribuer à la qualité de vie au travail. En somme, l’idée, pour nous, serait que ce CET soit universel et portable – contrairement au CET actuel, utilisé essentiellement dans les grandes entreprises et par les cadres – et qu’il puisse être alimenté et utilisé tout au long de la vie professionnelle. En revanche, à la différence de ce que nous voyons du projet d’Emmanuel Macron, le CET universel, selon nous, ne devrait pas être monétisable. Les comptes épargne-temps actuels le sont et nous nous rendons compte que certains les utilisent pour avoir un revenu supplémentaire, alors que le besoin des travailleurs, nous le constatons, est d’avoir du temps. Les politiques salariales des entreprises doivent, quant à elles, répondre à ce besoin de revenu supplémentaire.

Le Code du travail doit-il refléter l’évolution sociétale et celle du marché du travail, qui vont dans le sens de davantage de flexibilité et de mobilité ?

B. S. : Le Code du travail doit effectivement se poser cette question, pour ce sujet-là comme pour d’autres. Je m’étonne que personne ne s’en saisisse vraiment, ni les partenaires sociaux ni le législateur. Le monde du travail qui arrive nécessite au moins de relire le Code du travail intelligemment et de le réévaluer, car ses articles n’ont pas forcément été écrits à une époque où, par exemple, le télétravail existait. Au-delà de la question du temps, il y a des sujets comme la responsabilité des entreprises pour les salariés en télétravail chez eux ou sur leur lieu de vacances. En résumé, un certain nombre d’éléments ne sont plus adaptés et il faudra bien un jour le faire.

C.P. : Le Code du travail est là pour réguler le marché du travail, donner des limites et éviter les excès et il ne s’adapte en effet qu’a posteriori à des évolutions sociétales. Pour tout ce qui concerne la gestion du temps, les entreprises ont toutes les cartes en main pour la flexibilité, mais, pour le moment, ces éléments sont davantage à leur profit qu’à celui des salariés. Hormis le Code du travail, il y a aussi le droit souple. L’accord interprofessionnel sur le télétravail en fait partie. Il n’a pas le caractère prescriptif, mais vise à être un support pour les entreprises, les représentants du personnel, les DRH et les managers, afin de leur donner des points de repère. Tout ne s’ancre pas dans le droit dur.

Le projet n’est pas sans défis, comme le montre déjà le CET actuel, peu répandu. Quelles seraient les difficultés d’un CET universel ? Comment le mettre en place ?

B. S. : Le projet Macron n’est pas très précis, mais il s’agirait donc de rendre le CET universel et portable. Cela signifie que demain, nous serions amenés à embaucher des personnes qui arriveraient avec un certain nombre de jours sur leur CET. C’est un élément à prendre en considération, en envisageant des dispositifs selon lesquels pendant la première ou les deux premières années d’un emploi, un salarié qui arrive avec un CET bien rempli ne pourrait pas l’utiliser avant un certain temps… J’invite le législateur, s’il s’attelle à ce projet, à le travailler avec les partenaires sociaux d’un côté, et la fonction RH, de l’autre. Sinon, nous risquons d’avoir des usines à gaz administratives.

C. P. : Il y a plusieurs défis, en effet. D’abord, la bataille de l’opinion, puisqu’il y a une frange, au sein de la majorité, qui veut avant tout mettre les gens au travail et durcir les règles de l’assurance chômage. Nous pensons que concernant les difficultés de recrutement, il y a certes des questions de salaires et de pouvoir d’achat, mais aussi des enjeux de conditions de travail et de sens. En outre, certaines questions techniques et opérationnelles sont à travailler. Si l’on parle d’universalité, alors il faut embarquer tous les travailleurs, du privé comme de la fonction publique, de même que des salariés en contrat court, dans des situations précaires, en intérim, avec des employeurs multiples… Or ce ne sont pas les mêmes réalités ni les mêmes réglementations. Nous pourrions tout à fait envisager ce qui a été réalisé sur le télétravail – une négociation dans le secteur privé avec le pendant dans les fonctions publiques –, pour arriver à une structure qui puisse être à terme universelle. En passant par la concertation et la négociation, il faudrait pouvoir ancrer ces différents points puis, si l’on veut que le CET soit universel, légiférer sur ce sujet.

Auteur

  • Natasha Laporte