Il semblerait que l’on prête au digital des vertus dans le recrutement. Les candidats ont accès aux offres gratuitement, contrairement aux petites annonces publiées dans la presse dans le passé, et en toute transparence, avec l’idée que le maniement de ces applications est aisé pour ces jeunes qui ont des facilités numériques. Nous avons voulu vérifier ces présupposés. Nous suivons une large cohorte de personnes, et nous avons mis en parallèle leur temps d’insertion avec leur perception des mécanismes du marché du travail. Il y a ceux qui voient ce marché comme rationnel… et les autres. L’enquête* révèle que cette génération est moins homogène, moins uniformément acculturée au digital et plus hétérogène dans ses capacités à déployer des techniques de recherche d’emploi efficaces qu’il n’y paraît. Pour plus de 30 % de ces diplômés, le marché du travail est déterminé par la chance ou le hasard. Ces jeunes fréquentent peu de sites, ne postent pas d’informations sur les réseaux sociaux et ne modifient jamais leurs profils sur les CVthèques. Ils sont ceux qui s’insèrent le moins bien. Pour eux, les plateformes sont des « bidules », comme une sorte d’impensé qu’ils ne cherchent pas à comprendre. Les profils ne sortent pas par ordre alphabétique, il faut chercher à comprendre le fonctionnement des algorithmes pour être efficace dans sa recherche d’emploi.
Oui, absolument. C’est notre message. Ce sont des inégalités pernicieuses car on ne les voit pas. On suppose que tout le monde, et notamment les diplômés, maîtrise les outils numériques. Pour beaucoup de personnes interrogées, la question est de diffuser un CV exact : elles confondent LinkedIn avec un document administratif. On est dans le même esprit que ceux qui rédigent des CV factuels, sans mettre en avant leurs compétences. Il faut comprendre les démarches d’un recruteur et comment les plateformes traitent l’information : c’est une mutation du marché du travail qui complexifie les choses. Dans les petites annonces, on sentait qui était le recruteur et l’on pouvait entrevoir ses attentes. Désormais, nous ne sommes plus dans un marché où le but est de « se faire choisir », mais de « se faire trouver ». L’algorithme doit permettre à un recruteur de nous repérer. Il ne suffit donc pas d’être présent sur les plateformes comme LinkedIn, Indeed ou autres, mais d’y être actif.
Le rôle du recruteur est de faire la différence entre celui qui sait se vendre et celui qui aura les compétences attendues pour le poste. Il doit savoir repérer le discours au-delà du candidat. Nous croyons qu’il faut former et informer les candidats, par exemple en écoles ou universités, pour que le virage digital soit franchi, avec des formations à l’utilisation des plateformes et d’initiation au fonctionnement des algorithmes. Il y a aussi une piste pour les plateformes. On ne peut pas leur demander de révéler leurs algorithmes, mais il y a un sujet de qualité et de confiance, qui amène une réflexion sur la marque. Cela peut être un élément bénéfique, mais cela n’existe pas encore sur ce marché de plateformes. L’Apec est une marque qui crée de la confiance chez les candidats, les autres plateformes devraient peut-être adopter une démarche comparable. Enfin, on ne peut pas tout attendre des plateformes ou des universités, on pense aussi à des forums d’entraide ou de partage d’informations sur les réseaux sociaux, sur lesquels les jeunes avanceraient ensemble, et qui permettraient aussi de rompre la solitude dans une forme d’engagement collaboratif.
* L’enquête a été réalisée auprès de 287 jeunes, détenteurs d’un master, pendant les dix-huit mois qui ont suivi l’obtention de leur diplôme. Une trentaine d’entre eux ont été interrogés lors d’entretiens en présentiel.