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Les clés

Quand les sciences de gestion règnent en maître

Les clés | À lire | publié le : 11.07.2022 | Lydie Colders

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Quand les sciences de gestion règnent en maître

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Réédité en poche, « Le maniement des hommes » de Thibault Le Texier brosse une histoire du management où « la rationalité » de l’entreprise est devenue le pouvoir dominant. Percutant.

Le management est souvent une critique du capitalisme, mais en réalité, les sciences de gestion en elles-mêmes sont devenues la véritable « doctrine » du pouvoir moderne. Dans cet essai, Thibault Le Texier, chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CESSP), retrace l’histoire de cette rationalité managériale devenue une domination sociale. Attention : l’ouvrage, s’inspirant des théories anglo-saxonnes, est ardu, assez austère. L’auteur part du management de la famille au 18e siècle (économie domestique) pour dérouler l’irrésistible ascension de l’ère de l’efficacité, de la gestion optimisée, dans la vie privée, l’éducation et le travail. La bascule viendra bien sûr du taylorisme en début du 20e siècle. Le chercheur s’attarde longuement sur Taylor, père du management scientifique. Ou plutôt « d’une standardisation » du travail toujours actuelle, soucieuse d’accroître « l’efficacité » en rendant les travailleurs interchangeables. Cet esprit de calcul et de contrôle est au cœur du management contemporain. Par la suite, les différents courants théoriques – le mouvement des relations humaines, de la culture d’entreprise, du leadership ou de l’excellence – ne feront qu’étendre « le spectre de l’application de la rationalité managériale, sans en déconstruire les fondations ».

Vers la gestion de soi-même

Thibault Le Texier juge que l’éducation s’est aussi transformée en un « endoctrinement » des esprits à ces principes gestionnaires depuis la révolution industrielle. À l’époque de Taylor et des ingénieurs, il s’agissait « de briser les manières coutumières, pour mouler l’employé aux dimensions d’un poste préconçu ». Peu à peu, la formation s’est muée en l’art « d’inculquer des compétences », habituant les jeunes adultes « à être mesurés, évalués, organisés, efficaces ». Le propos fait mouche si l’on pense à l’injonction bien intégrée de rester performant, employable. Dans les années 1980, l’appel « au management de soi en entreprise », promu par des gourous en management, accentue la tendance, poursuit-il. Les salariés sont amenés à « s’auditer », à « s’organiser », à « s’auto-contrôler ». Nul besoin d’un chef en permanence pour les surveiller, l’autocontrôle devient la règle… Cette réflexion sur l’emprise de la gestion managériale sur la vie, le monde du travail et jusqu’au politique (l’auteur évoque le new management public) est assez brillante. Dommage, l’essai, intellectuellement rigoureux, est très complexe, au risque de noyer le lecteur. Reste une pensée pertinente sur une société méthodique, transformée en entreprise. Le pouvoir managérial, conclut le chercheur, « ne fonctionne pas en référence à un chef unitaire, mais en rapport avec des dispositifs dépersonnalisés ». Il ne vise pas à régler uniformément, « mais à normaliser de manière adaptative ». Un rien glaçant…

Auteur

  • Lydie Colders