logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le pont sur

« L’écologie s’invite désormais au cœur du processus décisionnel du chef d’entreprise »

Le pont sur | publié le : 11.07.2022 | Natasha Laporte

Image

Entretien : « L’écologie s’invite désormais au cœur du processus décisionnel du chef d’entreprise »

Crédit photo

 

Avec la loi Climat et résilience, l’environnement fait irruption dans le Code du travail à travers plusieurs dispositions, à commencer par le nouveau rôle du comité social et économique. Des obligations qui restent pour l’heure insuffisamment appréhendées par les entreprises, alerte David Guillouet, avocat associé au sein du cabinet MGG Voltaire.
 
Quelle place le thème de l’environnement occupe-t-il dans la législation liée au travail ?

La question de l’environnement dans le droit du travail est relativement nouvelle. On constate une certaine montée en puissance des thèmes liés à l’environnement, que ce soit à l’international, dans le prolongement de l’Accord de Paris, ou national, avec un certain nombre de dispositions légales qui commencent à se multiplier. La loi Pacte, d’abord, puis la loi du 22 août 2021, dite loi Climat et résilience, font que l’entreprise est désormais contrainte d’intégrer l’impact social et environnemental de ses activités dans son fonctionnement et ses échanges avec les partenaires sociaux. Avant la loi Climat et résilience, les salariés et les représentants du personnel avaient d’ailleurs déjà un certain nombre de moyens à leur disposition, certes limités, dont le droit d’alerte environnementale : l’article L. 4133-2 du Code du travail précise en effet que lorsqu’un élu au comité social et économique (CSE) constate, notamment par l’intermédiaire d’un salarié, un risque grave pour la santé publique et l’environnement, il peut en alerter immédiatement l’employeur et si l’employeur et l’élu sont en désaccord sur la façon de traiter ce sujet, les élus peuvent saisir le préfet. C’est une disposition qui existe depuis 2013, mais notre cabinet ne l’a jamais vue fonctionner. D’autres dispositions, telles que le droit de vigilance dans le cadre du Code du commerce, commencent à trouver un certain écho : les entreprises de plus de 5 000 salariés doivent prévoir un plan comportant des mesures de vigilance raisonnables, propres à identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, mais aussi envers l’environnement.

La donne change avec la loi Climat et résilience. Comment ?

Avec la loi Climat et résilience, nous ne faisons plus face à des mesures éparses, mais à une véritable logique d’ensemble. Cette loi reconnaît explicitement aux CSE des attributions nouvelles en matière d’environnement. Elle introduit l’écologie dans plusieurs dispositions du Code du travail, à commencer par les consultations récurrentes du CSE. Désormais, dans le cadre de ces consultations récurrentes, le comité doit être informé des conséquences environnementales des activités de l’entreprise. Rappelons que ces consultations portent sur trois thématiques : la situation économique et financière de l’entreprise, la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, ainsi que les orientations stratégiques. Sur chacun de ces aspects, le chef d’entreprise a vocation à informer les élus des conséquences environnementales des évolutions envisagées. Les élus sont ainsi invités par le législateur à venir challenger le chef d’entreprise en l’interrogeant sur les décisions à travers le prisme de l’environnement. De même, pour l’ensemble des projets amenés à être soumis au CSE – un projet de réorganisation, de déménagement, de fermeture de site… –, le comité doit désormais être informé et consulté sur les conséquences environnementales des mesures prises par les employeurs. Autant dire que l’écologie est désormais dans le cœur du réacteur du processus décisionnel du chef d’entreprise à qui l’on impose de prévoir l’impact environnemental du projet dans la documentation à remettre au CSE. C’est quelque chose de véritablement novateur. Mais la portée de ces dispositions n’a pas encore été véritablement mesurée par les entreprises.

L’environnement s’invite également dans les bases de données économiques et sociales…

Ces bases, renommées bases de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), doivent comporter un certain nombre de thèmes : l’investissement social, l’investissement matériel, l’égalité professionnelle, les activités socioculturelles et désormais, également, les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise. Un décret paru le 27 avril au Journal officiel prévoit en effet que des indicateurs environnementaux doivent figurer dans les BDESE. Ainsi, dans les entreprises de moins de 300 salariés doivent y figurer des documents qui concernent la politique générale en matière environnementale. Autre thématique, l’économie circulaire : elle impose de prévoir des informations en termes de prévention et de gestion de production des déchets ainsi que tout ce qui touche à l’utilisation durable des ressources, comme la consommation d’eau et d’énergie. Enfin, toujours pour les entreprises de moins de 300 salariés, on évoque l’identification des postes d’émissions directes de gaz à effet de serre induites par les sources fixes et mobiles liées aux activités de l’entreprise. Pour les entreprises d’au moins 300 salariés, on retrouve des thématiques autour de la politique générale en matière environnementale, de l’économie circulaire et du changement climatique. Mais pour celles qui ne sont pas déjà tenues à la déclaration de performance extrafinancière, des contraintes se renforcent : ces entreprises seront obligées de faire figurer un certain nombre d’informations, comme l’utilisation durable des ressources, des postes d’émissions directes de gaz à effet de serre ou des dispositions en matière de bilan des émissions de gaz à effet de serre.

Quels nouveaux pouvoirs pour les représentants du personnel ?

Les représentants du personnel vont se former pour challenger l’entreprise sur la dimension environnementale, puisque la formation économique et syndicale des élus intègre désormais la question environnementale. Ils reçoivent pour consigne, lorsqu’ils sont formés, de demander à leur entreprise quelle est sa politique générale en matière environnementale. Une fois cette politique générale explicitée par l’employeur, les élus pourront émettre un avis tant sur l’orientation de l’entreprise que sur sa mise en œuvre concrète. Le CSE pourra donc utiliser cette information-consultation pour observer si les moyens qui sont déployés par l’entreprise sont suffisamment ambitieux par rapport à la politique affichée. De même, les experts qui accompagnent les entreprises sur ces questions peuvent envisager d’investiguer, comme la loi les y invite, les sujets touchant à l’écologie. La loi indique que la mission d’expert-comptable porte en effet désormais sur tous les éléments d’ordre économique, financier et social ou environnemental nécessaires à la compréhension de la politique sociale.

Quels sont les impacts concrets potentiels pour les entreprises ?

Si, dans le cadre de ses obligations envers le CSE ou lors des informations-consultations, l’entreprise n’intègre pas les dispositions de la loi, elle risque théoriquement le délit d’entrave. Ce qui est bien plus probable, c’est la suspension de projets, puisque les élus, lorsqu’ils considèrent qu’ils n’ont pas été suffisamment informés et consultés, peuvent saisir le juge qui, lui, peut ordonner la suspension des projets ou une prolongation du délai de consultation. Il y a fort à parier que les élus iront gratter là où ça fait mal, sur les projets de réorganisation, par exemple, et utiliseront les thématiques liées à l’écologie pour faire en sorte que le chef d’entreprise voit ses projets perturbés du fait de ne pas avoir suffisamment intégré l’information en matière environnementale. Une première décision du tribunal administratif de Montreuil du 15 mai 2022 concernant un plan de sauvegarde de l’emploi offre un exemple éclairant de cette tendance. Dans cette affaire, le CSE soutenait qu’aucune étude d’impact n’avait été réalisée, que les représentants du personnel n’avaient reçu aucune information et qu’ils n’avaient pas été consultés sur les conséquences environnementales d’un projet de réorganisation. Le tribunal a estimé que l’absence d’information environnementale du CSE ne faisait pas obstacle à l’homologation par l’Administration du travail du document unilatéral fixant le contenu du PSE. Toutefois, cette décision sera-t-elle confirmée en cas de recours du CSE ? Rien n’est moins sûr… En tout état de cause, cette affaire illustre le fait que cette question a déjà été parfaitement intégrée dans les stratégies syndicales, que les entreprises doivent impérativement anticiper.

Auteur

  • Natasha Laporte