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Les entreprises plus attentives à des candidats plus… rares

Tendances | publié le : 27.06.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Conditions de travail : Les entreprises plus attentives à des candidats plus… rares

Crédit photo

 

La Semaine de la qualité de vie au travail, qui vient de se terminer, a beau mettre en avant les bonnes pratiques à adopter, il reste une belle marge de progrès… Après vingt ans d’intensification du travail, la pénurie de main-d’œuvre pourrait changer la donne.

Aujourd’hui paré de vertus épanouissantes, voire libératrices, le travail n’est pas pour autant devenu plus agréable… Au contraire, même, soutient Thierry Rousseau, chargé de mission à l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (Anact) : « Les enquêtes de la Dares le montrent : il y a une intensification du travail et des exigences productives depuis vingt ans. Par ailleurs, aux exigences accrues de production se sont ajoutées des responsabilités gestionnaires et économiques. Les entreprises demandent aux collaborateurs d’intégrer dans leur travail les objectifs de l’entreprise », dit-il.

Le secteur de la logistique figure parmi ceux où le phénomène est le plus visible. Selon le spécialiste de l’Anact, dans les années 1990, les préparateurs de commandes du secteur de la logistique devaient manipuler en moyenne 900 à 1 000 « morceaux » par jour. Un niveau de productivité résultant d’un « compromis opératoire » entre les organisations syndicales et les directions qui reposait sur la capacité de résistance et de négociation collective des travailleurs. Trente ans plus tard, cette capacité a en grande partie disparu, tandis que le management s’est individualisé, ce qui a abouti à des rémunérations dans lesquelles les primes prennent une place accrue. « Le niveau d’exigence en vigueur il y a trente ans n’est plus un plafond mais un plancher, souligne ainsi Thierry Rousseau. Aujourd’hui, la moyenne de manipulation varie entre 1 700 à 1 900 “morceaux”. Les travailleurs en viennent à dépasser leurs capacités physiologiques et cela cause, au bout d’un certain temps, des atteintes comme les TMS, les problèmes de dos, les douleurs articulaires… Les jeunes travailleurs tiennent le coup, puis, quand ils rencontrent des difficultés, ils sont remplacés – d’autant plus facilement qu’ils ont souvent un statut d’intérimaire. »

Évolution démographique

La bascule démographique en cours va-t-elle changer la donne ? Les cohortes les plus nombreuses, nées entre 1948 et 1958, vont commencer à partir à la retraite. Or le volume de jeunes entrants sur le marché du travail est inférieur à ces départs. « Ce phénomène de rareté ouvre la négociation sur les conditions de travail, souligne Thierry Rousseau. Les secteurs qui ont le plus de mal à recruter – logistique, restauration, transports, sanitaire et social, soignants – vont devoir les améliorer pour accroître leur attractivité. »

Le phénomène est déjà palpable dans les secteurs soumis à une double contrainte : celle de la démographie mais aussi de la rareté des compétences. C’est le cas de Assystem. Ce groupe d’ingénierie de 7 000 collaborateurs (dont 4 000 localisés en France) travaillant notamment dans le nucléaire connaît une forte croissance, du fait de la transition énergétique. Pour Camille Christ, directeur des affaires juridiques et sociales, l’attention portée aux conditions de travail revêt un caractère vital : « Les collaborateurs sont le pilier de notre activité. Sans eux, nous ne pouvons pas fournir les prestations qu’attendent nos clients. Nous sommes donc très attentifs à leurs attentes et nous mettons en œuvre des actions pour attirer les meilleurs candidats et les retenir. » Cet impératif conduit notamment à privilégier le télétravail. Conclu en 2017, un premier accord a été revu en 2020 pour augmenter la flexibilité du dispositif. « Désormais, tous les salariés, sans condition d’ancienneté dans l’entreprise, peuvent bénéficier de trois jours de télétravail par semaine, explique Camille Christ. Cette mesure touche en moyenne 30 % de nos effectifs, les autres étant sur des missions pour lesquelles le télétravail n’est pas envisageable, tels que les chantiers ou des projets soumis à une confidentialité renforcée. »

La concurrence ne laissant aucun répit, Assystem a même lancé l’expérimentation de deux nouveaux dispositifs. Il s’agit de « mieux répondre aux attentes des candidats et des salariés dont les rapports avec le monde du travail ont changé depuis la crise sanitaire », précise le responsable. Le premier test consiste à laisser les collaborateurs télétravailler quatre jours par semaine et le second à réaliser leur travail hebdomadaire sur une durée de quatre jours et demi au lieu de cinq. « Pour l’instant, ces expérimentations suscitent moins d’intérêt que nous le supposions, constate toutefois Camille Christ. Sur la semaine de quatre jours et demi, nombre de collaborateurs ont organisé leur vie familiale sur un schéma de deux ou trois jours de télétravail, qui apparaît déjà comme une solution satisfaisante en matière de conciliation des temps de vie. Réaliser leur travail hebdomadaire sur quatre jours et demi viendrait remettre en cause cette organisation et les horaires associés. »

Les secteurs recherchant des compétences rares ne sont pas les seuls à se pencher sur les conditions de travail. Axon’Cable, un spécialiste des solutions d’interconnectique comptant plus de 2 400 salariés, dont 750 en France, mise sur le sport. Né dans la filiale mexicaine en 2015, le mouvement s’est traduit en France par des tournois sportifs à l’air libre chaque été. « Cette année se tiendra un tournoi de ping-pong en double, dont la finale devrait avoir lieu en septembre, explique Sandrine Hermant, responsable de projets marketing. L’entreprise met les équipements à la disposition des salariés qui peuvent s’entraîner durant la pause déjeuner, pouvant varier de 50 minutes à 1 h 20, ou après leur travail. »

Nouvelles marges de manœuvre

Pour Thierry Rousseau, un signe pourrait indiquer que la donne change : « Il y a un discours qui consiste à affirmer que les générations nouvelles ne veulent pas travailler ou alors, à leurs conditions… Ce discours sur les jeunes est récurrent depuis 40 ans. Il était déjà tenu après 2003, lorsque le marché du travail a connu une relative embellie. Le retour de ce type de propos indique en creux que les jeunes sentent qu’ils ont davantage de marge de manœuvre pour négocier leurs conditions d’accès à l’emploi et leurs conditions de travail. » Il reste à espérer que cette amélioration bénéficie aussi à ceux qui doivent composer avec les contraintes les plus fortes…

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins