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Quand l’entreprise libérée vire à la manipulation

Les clés | À lire | publié le : 27.06.2022 | Lydie Colders

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Quand l’entreprise libérée vire à la manipulation

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Dans « Toxic management », le philosophe Thibaud Brière livre un témoignage effarant sur le management pervers d’un patron d’un grand groupe, chantre de l’entreprise libérée. Le livre choc de l’année, hautement recommandé.

Lors des sessions d’intégration, le président de Gadama joue l’apôtre du management libéré devant les nouveaux managers : « Chez nous, vous êtes libres. Il n’y a ni hiérarchie ni chefs, vous êtes votre propre patron. Il est expressément interdit de donner des ordres. Que voulez-vous, je suis un disciple de Mai 68, j’ai l’autorité en horreur »… Gadama, groupe industriel, existe bel et bien. Et le pire est « qu’il est considéré comme une référence managériale avant-gardiste », alerte Thibaud Brière. Embauché par ce patron charismatique (autoproclamé « Père fondateur ») pour promouvoir les valeurs de la société, ce philosophe d’entreprise va progressivement déchanter face à ce beau discours libérateur. Dans son livre, il évoque la réalité d’un homme pervers, qui, sous couvert de transparence, « décide de faire du mal pour faire du bien », humilie les salariés, les déstabilise, passe de « la bienveillance à la cruauté pour asseoir sa domination » et sa vision… Son récit, effarant et précis, décrypte les rouages de cette manipulation managériale. La critique constructive ? L’auteur découvrira qu’elle peut coûter cher, citant un cadre licencié pour avoir osé exprimer des difficultés à « jouer un rôle actif » sur les réseaux sociaux. Lui-même se fera piéger : très vite, « le Père fondateur me demande de réserver mes critiques les plus incisives, les seules qui comptent, au conseil d’administration… », écrit-il.

Comment organise-t-on la peur et l’emprise ? Par des méthodes de classement forcé contournées et dégradantes, explique Thibaud Brière. Il raconte aussi comment ce patron oblige les salariés à tenir des réunions publiques pour désigner les « défaillants » (les serpents, « susceptibles de manipuler les autres », en réalité les plus rebelles), ceux qui pourront être dressés (des ours qui auraient besoin « d’un guide à suivre ») et les phoques, dociles, ayant bien intégré le discours et capables « de s’autodiriger ». Aberrant ? Il décrit pourtant, dans une scène d’une violence inouïe, un personnel d’agence jouant le jeu de cette délation. Derrière de pseudo-formations en management, il comprendra que le but est bien de « chasser » ces vicieux serpents dominants. « Le Père fondateur aime les choses claires : il assigne à ses managers un objectif de 25 % de personnes à faire partir, s’évitant un coûteux plan social ». Le livre est une brillante analyse d’une perversité managériale orchestrée au plus haut niveau. Jusqu’à des listes noires de salariés… Pourquoi l’inspection du travail n’a-t-elle jamais été saisie ? Le philosophe l’explique par une organisation ultra-décentralisée et des « techniques de délation » qui affaiblissent les syndicats chez Gadama. Licencié après avoir dénoncé la gravité des faits, l’auteur livre un récit édifiant sur la folie du pouvoir.

Auteur

  • Lydie Colders