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« Il n’existe pas de condamnation vraiment dissuasive »

Le point sur | publié le : 27.06.2022 | Nathalie Tissot

Comment la victime et l’employeur doivent-ils réagir en cas de harcèlement sexuel ?

Elise Fabing : La victime doit se protéger, essayer de récolter un maximum de preuves, susciter l’écrit, alerter en interne et en externe (inspection du travail, Défenseur des droits, etc.). Parfois, il est très difficile d’alerter en interne parce qu’il y a un lien de subordination. Concernant les entreprises, quand il y a une dénonciation de faits de harcèlement, il faut, à mon sens, absolument avoir recours à une enquête interne impartiale le plus rapidement possible et prendre des mesures pour protéger la salariée qui se dit victime. Cela peut être : dispenser d’activité ou mettre à pied, à titre conservatoire, l’agresseur présumé le temps de l’enquête ; faire en sorte que les deux protagonistes ne se croisent pas ; proposer une cellule d’écoute à la victime… Elle ne doit pas se sentir mise de côté, inaudible et sans importance.

Quelles sont les obligations de l’employeur ?

E. F. : Il a l’obligation de protéger la santé et la sécurité de ses salariés. S’il y a des poursuites judiciaires, il devra prouver qu’il a tout fait pour les protéger. En matière de harcèlement, il y a également une obligation de prévention et d’action, mais ses contours ne sont pas réellement définis par les textes. Chaque entreprise est libre du mode opératoire.

Quel est l’engagement des entreprises sur ces questions ?

E. F. : Je fais des enquêtes internes et je sais qu’il y a des entreprises qui ont une tolérance zéro au harcèlement. Certaines ont des accords d’entreprise, des process internes, des lignes d’écoute extérieures… Mais il y a aussi beaucoup de « washing » en matière de lutte contre le harcèlement. Dans 85 % de mes dossiers de harcèlements sexuels ou discriminations sexistes, lorsque je défends une salariée, je négocie des transactions parce que l’entreprise a peur du risque réputationnel. Elle préfère donc mettre fin à toute éventualité de fuite et de contentieux public en indemnisant la victime qui signe une clause de confidentialité. Ce sont parfois des entreprises titulaires de labels… Pour une, par exemple, j’en suis à mon troisième ou quatrième dossier. Et à chaque fois, nous avons des transactions mais le harceleur reste en place.

Que change l’élargissement de la notion aux propos et comportements sexistes ?

E. F. : En pratique, pas grand-chose. La définition s’élargit pour inclure le sexisme. La notion de pluralité d’auteurs est également ajoutée. Cela veut dire que les actions de plusieurs collègues peuvent constituer une répétition et donc un harcèlement. On parle de blagues grasses, sexistes… En réalité, même si c’est une nouvelle définition, la jurisprudence intégrait déjà cette notion. La portée pratique de cette loi est donc assez limitée de mon point de vue. En revanche, il n’existe pas de condamnation vraiment dissuasive en cas de harcèlement. En moyenne, un harcèlement moral, c’est 7 100 euros d’indemnisation en 2019. Pour le harcèlement sexuel, nous n’avons pas de chiffre, mais c’est à peu près semblable. C’est vraiment peu et cela n’incite pas les entreprises à avoir une politique rigoureuse sur le sujet. Néanmoins, tout ce qui permet de sensibiliser à la problématique du harcèlement sexuel, de la violence au travail, ne peut qu’aider les victimes d’un point de vue psychologique. Cela montre une prise en compte du problème par le gouvernement. Mais c’est très insuffisant au niveau de la portée pratique.

Que faudrait-il faire ?

E. F. : Je suggère l’instauration d’un barème avec une condamnation à une indemnisation minimale à hauteur de six mois de salaire pour toute victime de harcèlement reconnue par les tribunaux. Au pénal, la peine peut aller jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, car il y a circonstance aggravante lorsque c’est au sein de l’entreprise. Mais la charge de la preuve est beaucoup plus lourde qu’au civil. Et quand vous voyez qu’un viol met déjà un an et demi à être instruit à Paris, pour un harcèlement sexuel, c’est encore plus long… C’est tellement long que je conseille souvent aux victimes d’aller au civil dans un premier temps. On pourrait donc aussi mettre en place des procédures d’urgence, des référés, pour les victimes de harcèlement qui sont en poste ou diminuer les délais d’audiencement. Pour l’instant, la victime est contrainte d’être en arrêt maladie. S’il n’y a pas de négociation comment fait-elle ? Elle est toujours dans les effectifs, incapable d’y retourner. Elle n’a plus de maintien de salaire, n’a pas le droit de s’inscrire à Pôle emploi puisqu’elle n’est pas sortie de l’entreprise. Elle se trouve donc contrainte de démissionner, de retrouver un emploi alors qu’elle n’est pas complètement remise. Cela peut conduire à des situations dramatiques qui engendrent une grande précarité.

Auteur

  • Nathalie Tissot