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Sur le terrain

Métiers en tension : Lacroix & Savac mise sur de nouvelles méthodes pour recruter

Sur le terrain | publié le : 20.06.2022 | Irène Lopez

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Métiers en tension : Lacroix & Savac mise sur de nouvelles méthodes pour recruter

Crédit photo Irène Lopez

Un forum virtuel où candidats et recruteurs « tchattent », des ateliers pour découvrir de nouveaux métiers et la visite d’un dépôt de bus à Nanterre, le 18 mai. L’objectif de Chope Ton Taf, une opération initiée par plusieurs villes des Hauts-de-Seine qui a eu lieu du 10 au 25 mai dernier, est de mettre en relation employeurs et demandeurs d’emploi. Parmi les recruteurs, le groupement Lacroix & Savac, spécialiste du transport de passagers. Reportage.

Najib Ouled écoute avec attention la présentation du métier de conducteur de bus qui est faite dans le dépôt de cars, à Nanterre, du groupement Lacroix &Savac. Il a 48 ans et est au chômage depuis un mois. Auparavant, il travaillait dans la restauration. « Je préfère changer », dit-il pudiquement. À demi-mot, il confie les horaires difficiles : « Je finissais mon service à deux heures, voire quatre heures du matin », les clients désagréables et des pratiques douteuses : « Une fois, des clients ont payé la note avec un chèque de 150 euros. Il est revenu impayé. Le patron a retiré la somme de ma paie… » Najib Ouled aspire désormais à un emploi stable, un salaire fixe. Pourquoi pas conducteur de bus ou de car ?

Ce sont les services de Pôle emploi qui l’ont invité à se rendre à une matinée de présentation du métier de conducteur chez un spécialiste du transport collectif de voyageurs. L’événement fait partie du dispositif Chope Ton Taf. Il mobilise des partenaires publics et privés (région Île-de-France, missions locales, CFA, associations, etc.) pour favoriser l’accès à l’emploi des jeunes de 16 à 30 ans et des demandeurs d’emploi plus âgés lorsque les plus jeunes ne répondent pas à l’appel. L’opération permet de les mettre en relation avec les employeurs, les informer sur les métiers et les secteurs d’activité, tout particulièrement ceux en tension.

La tension est un mot faible pour décrire les plannings chez Lacroix &Savac. « Nous manquons de chauffeurs. Cela se ressent notamment au moment de poser les jours de congés. Les salariés ne peuvent pas tous partir en vacances aux périodes souhaitées. Pour y remédier, il faudrait recruter 120 conducteurs », soupire Géric Bigot, le directeur du groupement. Aujourd’hui, le spécialiste du transport collectif de voyageurs refuse des contrats par manque de personnel. Et la situation ne fait qu’empirer : « La moyenne d’âge des conducteurs est de 50 ans. D’ici dix ans, ce sera la catastrophe ! », alerte Géric Bigot. Pour l’éviter, l’entreprise facilite la venue et l’installation des collaborateurs : ils sont logés à des conditions très avantageuses le temps de trouver un logement. De même, ils peuvent bénéficier d’un prêt de voiture lorsque leur véhicule personnel tombe en panne… D’où, aussi, l’opération séduction du jour, à travers la présentation des métiers et des conditions de travail puis la visite du dépôt…

« Vous ne serez jamais au chômage ! »

Les rideaux des fenêtres sont fermés pour plonger la salle de réunion dans l’obscurité. Adrian Binet, directeur du site, fait défiler la présentation : le dépôt de bus et de cars s’étend sur 30 000 m2, 170 salariés y travaillent, 150 véhicules (dont 10 électriques et 30 au gaz naturel) y stationnent. C’est ici que les conducteurs prennent possession de leurs véhicules. C’est aussi ici, dans l’atelier de 3 000 m2 pouvant accueillir quatre véhicules en même temps, que les six mécaniciens réparent les menues pannes mécaniques et les petits éléments de carrosserie.

« Vous ne serez jamais au chômage ! », lance le directeur. Najib Ouled sourit avec soulagement. Othmen Mohamed, 22 ans, casquette noire vissée sur la tête, lui aussi en recherche d’emploi, apprécie également. Adrian Binet et Lacroix &Savac viennent de marquer un point. Ce matin, quatre candidats étaient attendus. L’un est absent (cas contact à la Covid-19) et l’autre n’a pas donné de nouvelles…

Il existe deux métiers de conducteurs : celui de bus et celui de car. Le premier a trait à des trajets prédéfinis et propose un planning de travail connu à l’avance. « C’est monotone et sans surprise. Le conducteur effectue le même trajet 160 fois par mois », explique Adrian Binet. Il veut être le plus transparent possible pour que les candidats soient conscients des contraintes inhérentes aux postes proposés. Le salaire est le même que celui d’un machiniste à la RATP, soit 1 685 euros brut hors primes (2 200 euros net, toutes primes comprises).

Le second métier est celui de conducteur de car. Les trajets ne sont pas connus à l’avance. Un jour, il faut conduire des enfants en colonie de vacances en Bourgogne, un autre, les voyageurs sont les bénéficiaires d’un comité d’entreprise et vont passer la journée à Deauville. Un bon contact client fait partie des qualités nécessaires pour occuper ce poste. « Le salaire net mensuel peut monter jusqu’à 2 800 euros », précise Adrian Binet. Un point noir cependant pour ceux qui recherchent des journées qui se ressemblent : le rythme de travail est inconnu. Enfin, pour accentuer la différence entre les deux métiers de conducteur, le directeur a l’habitude de conclure la présentation ainsi : « Le bus, c’est un peu comme La Poste. On conduit les voyageurs d’un point à un autre. Et c’est tous les jours comme cela. Le car, c’est Amazon. Le trajet des voyageurs est sur mesure. » Il regarde les deux candidats du jour dans les yeux. « Je dresse le pire tableau pour vous prévenir. Il faudra travailler un week-end sur deux. Il y aura beaucoup d’heures supplémentaires à effectuer (dans la limite légale de 44 heures hebdomadaires) », dit-il. Ces mises en garde ne semblent pas les effrayer. Le plus jeune, Othmen Mohamed, a été prévenu du dispositif par la mission locale de Nanterre. Détenteur d’un baccalauréat professionnel en commerce, il n’a pas aimé sa première expérience professionnelle. Il est à la recherche d’un emploi depuis quatre mois. « Conduire ne me dérange pas. J’aime bien l’idée de ne pas connaître la destination du trajet à l’avance et, comme je n’ai pas d’enfant, cela ne me pose pas de problème de travailler un week-end sur deux », dit-il.

Les deux hommes sont invités à revenir pour passer un entretien individuel avec Adrian Binet. « Nous ne cherchons pas des techniciens, précise-t-il. Un permis de conduire peut s’obtenir facilement. Nous cherchons avant tout des personnes. » Si l’entretien est concluant, le demandeur d’emploi fera un stage d’immersion sur le site. S’il est toujours décidé à faire partie de la maison, il passera un test pour vérifier quelques bases mathématiques, ne serait-ce que pour rendre correctement la monnaie au moment de l’achat d’un ticket. Si le test est réussi, le candidat suivra une formation de 400 heures (dont 25 au volant). C’est le temps nécessaire pour obtenir la FIMO (attestation obligatoire dans l’Union européenne pour exercer le métier de conducteur routier dans les entreprises de transports publics et privés de marchandises ou de personnes), acquérir des notions de mécaniques, apprendre les mesures de sécurité et d’urgence. Un emploi de conducteur de bus ou de car est à la clé. En retour, l’employeur attend de la ponctualité. « Imaginez un groupe de scolaires qui va passer la journée à Disneyland. L’événement a été préparé par l’enseignant depuis des semaines, les enfants ne parlent que de ça depuis plusieurs jours. Si le conducteur arrive en retard, vous pouvez être sûrs d’avoir, à son arrivée, 50 enfants en pleurs », remarque ainsi Adrian Binet.

Politique RH soignée

Le professionnalisme, la disponibilité, le respect du client, du matériel et des collègues font partie des autres attentes de l’employeur. Enfin, le savoir-être est primordial : être rasé, porter une chemise blanche et une cravate (fournies par l’entreprise) et des chaussures de ville font partie du b.a.-ba d’une bonne présentation. « J’adore lorsqu’un jeune habillé en jogging et casquette à son arrivée porte naturellement un costume à la fin de sa formation. Conduire un camion à 400 000 euros est également valorisant. Cela contribue à la fierté du salarié », ajoute Géric Bigot. Très à cheval sur le savoir-être de ses salariés et à l’image qu’ils renvoient aux clients, il est très proche d’eux. Il tient à connaître le prénom de chacun et à les saluer un par un lorsqu’il est à Nanterre. Il partage une boisson chaude avec eux, à la machine à café, à 5 heures du matin. « Ils me font part de leurs difficultés. C’est à la machine à café que se résolvent 90 % des problèmes », dit-il. Le développement de certains salariés illustre le succès de cette politique. Comme celui Jean-Daniel Scoulem, 36 ans, entré chez Lacroix &Savac il y a sept ans après avoir roulé sa bosse en livrant des colis. Aujourd’hui, il transporte de jeunes scolaires et des employés, de la gare jusqu’à leur entreprise. Particulièrement aguerri, il fait slalomer son 19 tonnes électrique entre une camionnette mal garée et une imprudente vieille dame qui traverse alors que le feu est vert pour les voitures. « Il y a trois ans, la conduite en ville était plus facile. Désormais, avec les pistes cyclables et les nombreux travaux de voirie, il faut être patient et savoir gérer des automobilistes parfois agressifs », dit-il. C’est peut-être ce qui attend Najib Ouled et Othmen Mohamed…

Auteur

  • Irène Lopez