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Le point sur

« Il faudrait aussi des programmes d’accompagnement pour les migrants économiques »

Le point sur | publié le : 20.06.2022 | D. P.

Vous dénoncez les freins mis à l’immigration économique qualifiée en France… Quelles en sont les conséquences ?

Emmanuelle Auriol : Notre immigration est faible en volume, contrairement à ce que l’on peut penser. En outre, elle est concentrée sur les mouvements nés du regroupement familial pour 43 %, estudiantins pour 30 % et seulement 9 % pour le travail. L’immigration économique est ainsi quasi inexistante. La France, qui fut une grande puissance accueillante, est devenue un repoussoir. Nous sommes classés 19e mondial en termes d’attractivité, selon un classement de l’Insead1. La communication sur l’immigration en tant que problème a été telle que cela a fonctionné ! Or en adoptant une politique d’accueil de plus en plus restrictive, le pays se prive de croissance et d’une richesse importante, en termes de créativité, d’innovation et de création d’entreprise, apportée par l’immigration de travail qualifiée. Aux États-Unis, par exemple, 25 % des créateurs d’entreprises sont des immigrés. Les personnes qui décident de venir dans notre pays ont des qualités comme la prise de risque et la créativité, indispensables pour innover. Nous nous privons de cette vitalité. La diversité dans les équipes, l’apport des savoirs productifs et des systèmes éducatifs d’autres pays sont également irremplaçables pour la créativité et la performance. En France, les élites viennent toutes des mêmes écoles, ont les mêmes parcours, la même origine…

Il existe pourtant une liste de métiers dits « en tension » non opposables, qui doit permettre cette immigration économique…

E. A. : Il n’y a pas de vrai canal qui permet d’organiser l’immigration de travail. Le seul moyen de venir travailler en France pour un extra-Européen, c’est effectivement qu’une entreprise vous repère, veuille vous recruter, et que le poste visé ne soit pas « opposable », parce qu’il fait partie de certains métiers en tension. Or cette liste n’a pas été réactualisée pendant dix ans ! De plus, le marché du travail est très fluide, il change vite, le fait de figer ainsi les métiers n’est pas une bonne solution. Il faut raisonner aussi en termes de compétences, d’envies, de talents…

Quelles pistes suggérez-vous ?

E. A. : Nous pourrions partir de nos avantages : la France attire encore 300 000 étudiants, mais qu’elle ne garde pas. Ils se voient délivrer des visas d’un an, avec nombre de conditions exigeantes pour rester et occuper un emploi en France (gagner une certaine somme d’argent, travailler exactement dans le domaine pour lequel ils ont été diplômés, etc.), alors que les jeunes Français eux-mêmes n’y arrivent pas toujours ! Parmi nos propositions, nous préconisons l’instauration d’un visa « à points », comme au Canada, qui détermine des critères et aurait l’avantage de donner un signal aux étrangers qualifiés et leur montrer qu’ils sont les bienvenus.

Vous parlez des personnes qualifiées, mais les patrons demandent aujourd’hui, quitte à les former, des personnes avant tout motivées…

E. A. : Bien entendu, nous avons choisi d’étudier l’angle de l’immigration qualifiée dans notre rapport parce que nous avons identifié à quel point il s’agit d’un vrai frein pour la croissance. Il était sans doute plus facile d’aborder le sujet ainsi, en le sortant du débat focalisé sur l’identité, la sécurité et les fantasmes de tout genre.

Il existe pourtant des programmes d’accompagnement des réfugiés…

E. A. : Oui, mais pas pour les migrants « économiques », et pourtant, il faudrait en proposer également. C’est ainsi que l’on montrera à l’extrême droite que les immigrés sont des contributeurs avant tout, ce qui également, a contrario, permettra de sortir de l’idée que l’on doit accueillir avant tout par « charité ». L’immigration de travail est pour moi d’abord une façon de retrouver de la grandeur, de la créativité : on veut à nouveau des Miro, des Picasso…

(1) Index mondial compétitivité et talents de l’école de management Insead et Portulans.

Auteur

  • D. P.