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Sur le terrain

Intégration : Les jeunes en « contrat d’engagement » font leurs premiers pas

Sur le terrain | publié le : 13.06.2022 | Lucie Tanneau

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Intégration : Les jeunes en « contrat d’engagement » font leurs premiers pas

Crédit photo Lucie Tanneau

 

Le 1er mars dernier, le contrat d’engagement jeune (CEJ) a remplacé la Garantie jeunes. À Poitiers, une cinquantaine de jeunes sont ainsi suivis par des conseillers de la mission locale, qui a investi un nouveau bâtiment pour les accompagner. Reportage.

À deux pas de la gare de Poitiers, dans ses nouveaux locaux où le « bar à emploi » jouxte le « planning du mois », la mission locale accueille les signataires du contrat d’engagement jeune (CEJ), lancé le 1er mars dernier. Une façon de les orienter pour remplir leur semaine. Car le CEJ, qui remplace la Garantie jeunes, prévoit la même rémunération mensuelle de 500 euros, mais surtout, un accompagnement plus intensif, de 15 à 20 heures par semaine. Selon les sources officielles, quelque 70 000 CEJ avaient déjà été signés au 19 avril. À Poitiers, une cinquantaine de jeunes étaient déjà suivis, selon le directeur de la structure, Pierre Dugontier. Tous ont entre 18 et 25 ans et ne sont, comme le prévoit le contrat, ouvert à partir de 16 ans et jusqu’à 30 ans pour les personnes handicapées, « ni en emploi, ni en études, ni en formation ». La France compte près d’1,5 million de ces jeunes, selon l’Insee, dont beaucoup sans diplôme.

À 18 ans, Cindy, qui fait partie de la communauté des gens du voyage, a ainsi quitté l’école à 11 ans, puis suivi les cours à distance du CNED, jusqu’à 16 ans. Elle n’a passé que « l’ASSR » (attestation scolaire de sécurité routière). « Mais est-ce que c’est un diplôme ? », s’interroge-t-elle. Son père a sa propre entreprise d’élagage, mais sinon, « dans mon entourage, je ne connais pas beaucoup de gens qui ont un travail… disons, normal… », ajoute-t-elle. Elle a pris rendez-vous avec la mission locale et signé un CEJ en mars, sans être tout à fait certaine de pouvoir rester à Poitiers jusqu’à la fin des six mois du contrat, puisque ses parents ne sont pas sédentaires. « Je voulais voir comment se passe le monde du travail », explique-t-elle. Depuis mars, elle rencontre Brice, son référent de la mission locale, au moins une fois par mois et participe à différents ateliers, pour développer sa confiance en elle et s’entraîner pour passer des entretiens d’embauche. Cindy a aussi fait un stage d’une semaine à la Biocoop. « Mais les horaires ne m’ont pas plu et faire le ménage non plus », boude-t-elle. Elle préférerait « travailler dans le maquillage ou les vêtements ». Cet après-midi, elle participe à un atelier sur l’identité numérique avec une demi-douzaine d’autres jeunes, guidés par Anaïs et Loris, de l’association KuriOz. « Le but est d’échanger, librement, dans le respect, et approfondir toutes les questions que vous voulez », lance Anaïs, l’animatrice, qui intervient « pour la première fois en mission locale d’insertion », précise-t-elle. Après s’être présentés, les jeunes remplissent chacun un « avatar » avec leurs traits de caractère, leur façon de parler et l’image qu’ils veulent donner « IRL » (in real life) et en ligne. Une première approche qui permet d’aborder la sécurité des données personnelles, la confidentialité, l’identité en ligne…

« Commencer ma vie »

Chaque semaine, les jeunes doivent ainsi choisir des ateliers, pour une durée équivalente à 15 à 20 heures d’engagement. Les entretiens avec leur référent font partie de ce temps, qui leur ouvre le droit à leur allocation. Camélia reconnaît que l’indemnité l’a décidé à signer, en présence du préfet, le premier CEJ de la Vienne, le 7 mars dernier. « J’en suis fière », dit-elle. Elle a 21 ans, vit chez ses parents et seulement le brevet en poche. Mais « je veux commencer ma vie et devenir autonome », dit-elle. Ce qui implique à ses yeux de trouver un CDI… « J’aimerais travailler dans la petite enfance », avance-t-elle, sans toutefois vouloir reprendre des études. « Je veux un travail pour me sentir utile – et aussi gagner de l’argent », ajoute-t-elle.

Quant à Cire-Mady, timide sur sa chaise, il est dans une situation d’urgence. Arrivé de Guinée il y a cinq ans, il a aujourd’hui 21 ans et vit chez sa copine. Son CAP de maçon ne peut plus lui servir en raison d’un problème à l’œil, qui s’aggrave avec les poussières de chantier. « Je me suis inscrit au CEJ pour trouver une autre formation et un travail au plus vite. J’aimerais décrocher un CDI de préparateur de commande en centre de tri », annonce-t-il. En parallèle, il doit aussi remplir les dossiers administratifs pour renouveler son titre de séjour. Et il espère que sa référente l’aidera aussi dans ce domaine.

Huit conseillers, dont Séverine Papet-Bisleau, sur les 30 que compte la mission locale de Poitiers vont endosser ce rôle de référent pour le CEJ. Ils devraient encadrer cette année 400 jeunes, venus des 67 communes alentour. Les débuts ont été difficiles…

Des référents sous pression

« Le décret d’application a été signé le 21 février pour que le CEJ soit effectif le 1er mars… », relève-t-elle, pour ajouter : « Rien n’est construit, même si l’accompagnement imaginé dans le cadre de la Garantie jeunes se poursuit, avec moins de collectif et plus d’individuel. » La mission locale de Poitiers a cependant fait le choix de garder du collectif. « Les jeunes qui arrivent n’ont pas de potes d’écoles, ils sont souvent seuls, or c’est important d’avoir un groupe pour se construire », fait valoir Louis Godefroy, un autre conseiller. Conseiller tout court, d’ailleurs, et non conseiller CEJ : il refuse de diviser l’équipe de la mission locale. Car tout le monde ici fait le même travail, avec un même objectif d’insertion. Tout juste revenu de congé paternité, il a échappé à la pression de la mise en place du dispositif, mais a retrouvé des collègues stressés par une éventuelle surcharge de travail en raison de ce nouveau système, de même que par la crainte d’une fusion avec Pôle emploi…

« Même si localement, cela se passe très bien, la préfecture appelle chaque semaine pour se renseigner sur le nombre de signatures réalisées, les ateliers à créer, les résultats à prouver, explique-t-il. Le tout en six mois, même si le CEJ est renouvelable jusqu’à 18 mois… » Or trouver un emploi sans diplôme, sans expérience et parfois sans logement n’est pas forcément simple…

En parallèle, les conseillers continuent aussi de suivre les jeunes inscrits en Garantie jeunes avant le 1er mars, et ce, jusqu’au terme de leur contrat. « Il faut se caler, admet le directeur. Nous avons un petit retard de chiffres aujourd’hui, mais nous allons monter en puissance. » Toutefois, pour Louis Godefroy, « ce RSA jeunes qui n’en porte pas le nom n’est pas du tout adapté au public reçu. » « Ce serait pour des jeunes qui sont prêts à l’emploi – ce qui n’est pas le cas », explique-t-il. Le conseiller juge nécessaire d’avoir des moyens similaires à Pôle emploi ou à l’Éducation nationale, puisque l’État demande aux missions locales d’assurer un rôle d’accompagnement très soutenu. Or les moyens manquent… Ancien commercial reconverti après un bilan de compétences, il n’hésite pas à parler franchement. « Les jeunes ont une vision du travail qui est celle d’aujourd’hui, mais ils ne sont pas les seuls à devoir travailler sur eux-mêmes… Un des jeunes veut devenir chauffeur de bus, il a contacté une entreprise qui a des difficultés de recrutement pour faire une enquête métier. Elle n’a même pas répondu… », regrette-t-il. En somme, selon lui, les entreprises ne sont pas assez ouvertes, « alors qu’elles doivent “aller vers” », tranche-t-il.

Le Futuroscope joue le jeu

Certaines le font, comme le Futuroscope, qui travaille en partenariat avec la mission locale de Poitiers « depuis des années, souligne Carole Robin, la responsable du recrutement du parc d’attractions. La mission locale identifie des jeunes et nous regardons si nous avons des possibilités de recrutement ». À la fin du mois de mars, quatre jeunes en CEJ ont ainsi été accueillis au Parc pour une visite des restaurants. « Ils ont rencontré des professionnels et ont pu déposer leur candidature », indique-t-elle. Trois ont été recrutés pour des CDD d’avril à début septembre. « Nous sommes un employeur de poids (450 salariés à l’année et jusqu’à 1 000 ETP l’été) et nous avons vocation à nous ouvrir », résume la responsable recrutement. Elle juge le CEJ rassurant. « Les jeunes sont suivis par la mission locale : leur disponibilité, leur motivation, leur possibilité de mobilité ont été étudiées avant que nous les voyions, relève-t-elle. Si nous recevions les CV des mêmes jeunes, seuls, nous aurions davantage de craintes… Mais en les rencontrant, nous sentons leur motivation et nous avons des postes où nous pouvons donner leur chance à des jeunes motivés. » Le Futuroscope a l’intention de refaire des événements et des visites pour accueillir ces jeunes, notamment en CEJ, « même si cela demande du travail de préparation en amont. Nos managers aiment les former et les accompagner », assure Carole Robin, qui adapte également les contrats de certains de ces jeunes auparavant éloignés de l’emploi pour leur proposer des horaires qui leur permettent de prendre les transports en commun. « Ce n’est possible que sur un petit nombre, car nous n’allons pas fermer les attractions plus tôt, mais c’est aussi notre rôle d’employeur », conclut-elle. D’ailleurs, elle prône un recrutement fondé sur le savoir-être plutôt que le diplôme.

Qu’est-ce que le CEJ

Le contrat d’engagement jeune (CEJ) s’inscrit dans la continuité du plan « 1 jeune, 1 solution » mis en place en juillet 2020. Il s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans révolus (29 ans révolus lorsqu’ils disposent d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), qui ne sont pas étudiants, ne suivent pas une formation et présentent des difficultés d’accès à l’emploi durable. Mis en œuvre par Pôle emploi et les missions locales, le CEJ s’articule autour d’un accompagnement personnalisé pendant 6 à 12 mois1 avec un conseiller dédié et d’un programme d’activités de 15 à 20 heures par semaine. Une allocation pouvant aller jusqu’à 500 euros par mois est versée en fonction des ressources du jeune et sous condition de respecter les engagements.

(1) La durée de l’accompagnement peut exceptionnellement aller jusqu’à 18 mois.

Auteur

  • Lucie Tanneau