logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Emploi : Penser la reconversion comme une chance

Le point sur | publié le : 13.06.2022 | Lucie Tanneau

Image

Emploi : Penser la reconversion comme une chance

Crédit photo Lucie Tanneau

Robotisation, décarbonation, avènement de la voiture électrique… Les transitions, économiques et sociétales, s’imposent aux entreprises. Et avec elles, les reconversions de salariés. Les transformations à venir seront énormes – et les enjeux également.

Faudra-t-il agir sous la contrainte demain ? En fait, dès aujourd’hui, sous l’effet de la robotisation, ne serait-ce que pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre, de la décarbonation, pour lutter contre le dérèglement climatique, de l’impact d’évènements, comme la pandémie ou la guerre en Ukraine, sur l’approvisionnement en matières premières (acier, notamment) ou en semi-conducteurs, les entreprises sont sommées de revoir leur modèle d’affaires. « On n’a jamais parlé autant de transitions et de mobilité professionnelle que depuis les confinements, confirme ainsi Christine Vo Van, la directrice de Transition Pro Occitanie, qui finance des projets de transition professionnelle à destination des particuliers ou des entreprises (via le fond Transco). Les salariés se questionnent, les entreprises aussi. Il s’agit de trouver des réponses à ce qui se passe dans notre monde. » Et de prendre le tournant nécessaire. La sociologue Élodie Chevallier, une chercheuse associée au Centre de recherche sur le travail et le développement du Cnam qui étudie la question des reconversions professionnelles, compare la situation actuelle à l’époque de l’avènement de l’électricité et du moteur. « De nombreux métiers ont alors évolué, c’est un processus normal », souligne-t-elle.

Pourtant, il semble que le tissu économique soit à la traîne. Ainsi, malgré l’obligation d’établir une GPEC depuis 2018 dans les organisations de plus de 500 salariés, « très peu d’entreprises ont intégré la transition énergétique à cette GPEC », regrette Yannick Saleman. Chef de projet emploi pour The Shift Project, un laboratoire d’idées, il défend une vaste réflexion pour transformer l’économie française. « Nous tentons de sensibiliser les entreprises en mettant en avant le fait que ces transformations sont aussi sources de business », poursuit-il. Le think tank a chiffré, autant que faire se peut, les pertes et les gains d’emplois, d’ici 2050, en raison de la décarbonation de l’économie et des mutations qu’elle entraînerait dans le secteur aérien, automobile ou du transport. Et conclut à un gain net de 300 000 emplois. Pourtant, pour l’heure, les craintes concernant les pertes d’emploi chez les constructeurs automobiles qui passent à la voiture électrique ou les raffineries qui font évoluer leurs activités sont fortes. Malgré les visites régulières de ministres sur ces sites, ces transformations ne sont pas perçues comme une chance pour l’économie. « La prise de conscience que ces évolutions technologiques peuvent être sources d’emploi n’est pas là en France. Ces changements sont avant tout associés dans les esprits à des destructions de postes. C’est le rôle des pouvoirs publics que de faire évoluer les mentalités », précise la chercheuse Élodie Chevallier.

Par ailleurs, à l’échelle mondiale, l’Agence internationale de l’énergie estime que 5 millions d’emplois disparaîtront dans le secteur du charbon, du pétrole et du gaz naturel d’ici 2050, mais que pas moins de 14 millions d’emplois pourraient être créés dans le domaine des énergies propres. Reste le présent… Selon une étude de l’Insee, la filière aéronautique française a perdu 4 900 emplois dans la seule Haute-Garonne en 2020. Le secteur aérien (400 000 emplois au total en France) est de plus mis à mal par la baisse du trafic depuis deux ans et la prise de conscience écologique. Grégoire Carpentier, fondateur de l’association Aéro Décarbo, à Toulouse, rapporte même « le malaise de ceux qui ont compris un problème auquel ils contribuent ». Si le secteur travaille déjà à un éventail de solutions technologiques – meilleure aérodynamique des avions, carburants alternatifs, outils technologiques de baisse de consommation d’énergie –, cet ingénieur souhaite également un plan B. « Les entreprises doivent s’intéresser à leurs risques et faire des analyses par scénarios, dit-il, la crise sanitaire a montré qu’il suffit d’un caillou dans la chaussure pour que le système s’arrête. » En somme, ajoute-t-il, « il faut une planification de ce que l’on veut faire en termes industriels dans les territoires, associée aux compétences nécessaires, dans le cadre d’un plan piloté par les pouvoirs publics. » De même dans l’automobile. « Est-ce que l’on peut basculer à l’industrie du vélo ? La réponse est oui », tranche Yannick Saleman, du Shift Project. Si les compétences ne sont pas exactement les mêmes, quelques syndicats de l’automobile ont déjà des référents vélo en leur sein pour réfléchir à ces passerelles. D’autant que, selon lui, « les usines automobiles françaises sont très performantes et les salariés ont de bonnes compétences, qui sont tout à fait ré-allouables ailleurs, notamment au vélo, dans des métiers qui seront en outre moins “postés” et où les salariés gagneront en sens ».

Former rapidement

Selon l’autonomie d’origine du salarié, une transition professionnelle demande 6 à 12 mois, estime Christine Vo Van. « Aujourd’hui, certains pensent à court terme et se dirigent vers un emploi de chauffeur routier, en tension, tandis que d’autres réfléchissent à plus long terme, en imaginant des compétences qui seraient utiles demain », poursuit-elle. Mais demain arrivera vite…

« Les nouveaux métiers prennent rapidement forme, alors que certaines formations sont longues à mettre en place, d’où un décalage de cinq ans », relève de son côté la sociologue Élodie Chevallier. Et les incertitudes demeurent… Ainsi, « quelle sera la maintenance d’un avion à hydrogène ? On peut imaginer une base de savoirs techniques, mais pas encore le cœur du métier », dit-elle. « Les jeunes doivent disposer d’un bagage de connaissances qui leur servira pour tous les enjeux de demain, quelle que soit leur orientation », répond Grégoire Carpentier, de l’association Aéro Décarbo. « La reconversion d’un pilote est cependant moins facile que celle d’un ingénieur », ajoute-t-il. Dans ce secteur dépendant de l’énergie, même en mettant de côté les enjeux climatiques, les tensions sur l’approvisionnement, renforcés par les tensions géopolitiques à l’est de l’Europe, rendent indispensable la réflexion. Et elle doit s’accélérer, non seulement pour répondre aux enjeux du moment, mais aussi aux questions des salariés sur leur avenir.

Auteur

  • Lucie Tanneau