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Chroniques

La grande démission ? Un grand recrutement, en fait !

Chroniques | publié le : 13.06.2022 | Jean Pralong, Alexandre Stourbe

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Jean Pralong ; Alexandre Stourbe : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong, Alexandre Stourbe

L’expertise du Lab RH, par Jean Pralong ;et Alexandre Stourbe :

En management comme ailleurs, il existe des modes. Parmi les idées qui circulent, certaines ont le talent de prendre racine. Elles retiennent l’attention et donnent le sentiment de faire comprendre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Une idée à la mode n’est pas nécessairement fausse ou simpliste. Mais il ne faut jamais oublier qu’elle plaît, aussi, parce qu’elle rassure. Cette réassurance n’est pas toujours évidente : nombre de propos à la mode invitent au changement. Ils augurent souvent de difficultés et racontent le renoncement nécessaire à des pratiques devenues obsolètes. Mais, surtout, les modes tirent leur puissance de leur capacité à nous renforcer dans des certitudes. En nommant les problèmes, en citant leurs causes ou en suggérant comment les résoudre, elles laissent dans l’ombre d’autres aspects de la réalité. Les modes sont au management ce que la poursuite est à la scène de théâtre : un moyen efficace d’attirer l’attention.

Nous serions donc confrontés à une « grande démission »… Des salariés américains auraient massivement quitté leurs employeurs. Le phénomène franchira-t-il l’Atlantique ? Le télétravail, le plein-emploi et la préférence pour la vie personnelle, conjugués ensemble, vont-ils transformer les entreprises en halls de gare ? Les recruteurs, déjà bien affairés, auraient-ils mangé leur pain blanc en premier ?

Les quelques données disponibles invitent à la prudence. Certes, un surcroît de départs a été enregistré à la sortie du confinement. Mais il est directement corrélé à la reprise économique. Ses causes sont simples : les recrutements qui n’avaient pas eu lieu pendant l’épisode pandémique ont été menés ensuite. Les salariés qui envisageaient de changer d’emploi ont attendu la reprise pour le faire. La vague de départs enregistrée est donc un phénomène de rattrapage. Dans ces départs, une écrasante majorité concerne des mobilités très prévisibles : on change d’emploi principalement pour gagner des galons hiérarchiques et, évidemment, faire progresser son salaire. Bref, on change quand le marché interne n’offre pas l’opportunité de devenir chef… On peut y voir combien les préférences de carrière sont traditionnelles : la carrière managériale a de beaux jours devant elle. Mais il faut y voir, avant tout, que la « grande démission » est surtout un « grand recrutement ». Les individus qui ont démissionné n’ont pas disparu. Ils ne se satisfont pas du chômage ou n’imaginent pas des potagers collaboratifs à la campagne. Ils ont d’abord été recrutés ailleurs. Le bonheur des uns fait le malheur des autres : recruter, c’est bien souvent chasser dans une autre entreprise.

Or la mode est à la « grande démission » plutôt qu’au « grand recrutement ». Exprimé ainsi, c’est dire que le problème vient des individus : exigeants, volatils ou indécis, entre autres. La mode de la « grande démission » nomme une menace (la fuite des cerveaux), prophétise des temps difficiles (le recrutement pourrait être un jeu de chaises musicales sans fin) et en montre les causes : les comportements des salariés. Son efficacité est d’expliquer tous les problèmes de turn-over par un seul phénomène. Rien, donc, sur les pratiques de management. Or parmi ces collaborateurs qui partent, combien sont réellement attirés par un autre emploi ? Combien cherchent surtout à quitter celui qu’ils occupent ? Combien se sont vus privés de l’évolution qu’ils espéraient par l’arrivée d’un « talent » chassé ailleurs ?

Dans une économie qui tend vers le plein-emploi et où le nombre des actifs est à peine suffisant, les salariés bougent. Leur préférence affirmée pour les mobilités hiérarchiques montre peut-être leur volonté de manager ou de progresser en salaire. Elle montre surtout leur souci pour leur employabilité. Les évolutions hiérarchiques font les CVs lisibles et convaincants. Ce n’est donc ni le goût de l’aventure ou une quête de sens nouvelle qui les meut. Car, dans ce domaine, les marchés internes savent faire mieux : la mobilité interne sait donner sa chance et proposer des alternatives plus variées, là où le recrutement externe mise sur les compétences acquises pour se rassurer. Diversifier les parcours est une solution efficace pour garder ses collaborateurs, pour peu qu’on lui accorde des moyens et de l’ambition. Bref qu’on en fasse une stratégie.

Auteur

  • Jean Pralong, Alexandre Stourbe