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Subordination : la fin d’un modèle ?

Chroniques | publié le : 06.06.2022 |

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Subordination : la fin d’un modèle ?

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Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH

Avec la reprise économique – évidemment fragilisée par le contexte international – et l’impact sur un marché de l’emploi qui s’inverse au profit des candidats, nous voyons apparaître des phénomènes auparavant cantonnés sur les profils ou les compétences rares. Les difficultés de recrutement se font jour dans de nouveaux métiers pourtant plus classiques et aux modèles de formation depuis longtemps adaptés, comme la finance, les RH, le commerce, le service. L’hôtellerie-restauration paie une seconde facture après celle du Covid-19 : la pénurie de candidats pour la saison estivale. Parallèlement, et sans doute renforcés par cette embellie, les critères d’engagement des candidats comme de fidélité des salariés sont en pleine évolution – avec notamment des exigences en termes de sens, de transition environnementale et d’organisation du travail. Enfin, on observe une autre tendance déjà présente, mais considérablement développée telle que l’a prouvé une étude de 2021 faite par le BCG : 85 % des non-managers européens ne sont pas attirés par une fonction de management. Si l’on ajoute à cela une nouvelle génération de moins en moins séduite par les grandes organisations, nous assistons à une révolution désormais ancrée non seulement du travail, mais plus fondamentale de la manière de l’envisager.

Le marché est, notamment en France, très structuré par des textes souvent contraignants et parfois difficiles à coordonner, mais qui de surcroît semblent de plus en plus inadaptés aux aspirations des salariés comme aux besoins d’agilité et de vitesse des entreprises. La faible attractivité de la fonction de manager pose la question de la structure pyramidale des carrières qui est aujourd’hui la plus répandue, malgré les tentatives parfois réussies de certaines entreprises visant à réduire leurs échelons hiérarchiques ou à repenser le modèle de management autour de la subsidiarité et de l’autonomie. Le projet de carrière n’est plus vertical et pourtant nos modèles de rémunération trop souvent reposent sur ce critère. Il n’est plus construit autour des logiques de pouvoir ou d’autorité et exige de plus en plus la collaboration, la cocréation et le projet. L’objectif est de pouvoir innover ensemble et d’exécuter rapidement avant de passer au projet suivant. Ce n’est pas de la légèreté ni de l’inconséquence, c’est une des traductions concrètes de l’accélération du monde et, d’une certaine manière, de l’impatience à le changer. Nous sommes dans une période de rupture du modèle historique du travail revendiqué par une génération qui a les moyens de cette rupture. Cette concordance temporelle entre souhait, nécessité et capacité est assez rare pour être soulignée, mais aussi pour se dire que le mouvement est enclenché. À ne pas en tenir compte dans nos structures légales et conventionnelles du travail, nous prenons le risque d’une distorsion sociale, juridique et économique entre le travail et ses acteurs.

Le contrat de travail se fonde sur un lieu, une mission, une rémunération, mais aussi un principe de subordination. Cela semble décalé avec la réalité de plus en plus d’organisations qui assument et même promeuvent la prééminence d’une logique de coopération. De même, la décision de recrutement tant pour le recruteur que pour le recruté ne repose pas sur une subordination, mais sur une volonté partagée de coopération. Les soft skills entrent de plus en plus en ligne de compte dans un choix et c’est la capacité à travailler en équipe qui est recherchée, pas celle de se subordonner. Avec le temps, on est arrivé à confondre autorité et subordination comme si la première ne pouvait exister sans l’autre. Ce n’est pas vrai, puisque les meilleurs managers et les études les plus fournies sur ce vaste sujet montrent que c’est d’abord la légitimité, la cohérence et la vision qui fondent l’autorité et donc légitiment la hiérarchie. Dans la transformation du travail accélérée par la crise sanitaire, il semble pertinent de considérer que désormais les relations de travail ne peuvent plus se baser durablement sur la seule valeur juridique de la subordination liée au contrat de travail pour justifier une hiérarchie et même une sanction. D’ailleurs, la volonté de l’actuel gouvernement de promouvoir un nouveau partage de la valeur, notamment par l’actionnariat salarié, viendrait pour partie en contradiction avec ce lien de subordination qu’un contrat de travail affirme, car il s’agit de créer un lien d’une autre nature entre entreprise et salarié. Les RH, notamment en raison des enjeux d’attractivité et de fidélisation, savent que c’est la volonté partagée de collaboration qui fonde le lien à l’entreprise comme au manager. Et si c’était le moment de donner à ce principe force contractuelle ?