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Plaidoyer pour un altruisme raisonné : donner ? Oui mais pas trop !

Chroniques | publié le : 06.06.2022 |

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Plaidoyer pour un altruisme raisonné : donner ? Oui mais pas trop !

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Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris

Ce titre, qui reprend celui d’un des livres récents du célèbre moine bouddhiste Matthieu Ricard1, met l’accent sur l’intérêt pour les responsables, et en particulier les DRH, de s’intéresser à la question du don, l’un des signes les plus visibles de l’altruisme, comme l’une des compétences clés à développer en entreprise dans un contexte de post-pandémie. Sur ce thème, le livre de Adam Grant « Give and Take »2 est particulièrement éclairant, car il identifie trois types de profils d’individus dans la vie courante et, notamment, en entreprise : les « givers », les « takers » et les « matchers ».

• Les « Givers » (donneurs) cherchent à enrichir la vie des personnes avec lesquelles ils/elles interagissent. Ils/elles mettent l’accent avant tout sur l’intérêt des autres en les aidant, y compris matériellement, en les conseillant, voire en prenant des risques personnels et/ou professionnels pour eux.

• Les « Takers » (preneurs) aiment recevoir plus qu’ils/elles ne donnent. Ils/elles mettent leurs propres intérêts au-dessus des besoins des autres en tirant à leur profit les bénéfices de la situation. Les preneurs voient le monde comme une arène où la compétition règne en maître.

• Les « Matchers » (équilibristes) sont dans un rapport de réciprocité et d’équilibre. Ils/elles ne donneront que s’ils/elles reçoivent en échange, dans une logique de don/contre-don chère à Marcel Mauss3. La question de la contrepartie est ici essentielle. Les équilibristes peuvent entrer en conflit, notamment avec les preneurs, si la réciprocité n’est pas au rendez-vous.

La thèse défendue par Adam Grant est celle d’un plaidoyer pour un altruisme raisonné en prenant clairement position en faveur des donneurs en entreprise, qui sont souvent entre autres parmi les meilleurs leaders et les meilleurs vendeurs, mais en nous alertant sur le fait que trop donner sans compter peut nuire à la performance et à la carrière ! Il y aurait un point maximum dans la volonté de donner et d’aider les autres au-delà duquel les risques sont élevés pour les donneurs et particulièrement en entreprise, surtout si la performance est évaluée beaucoup plus au niveau individuel que collectif.

Ce qui est séduisant en prônant un altruisme raisonné en entreprise par une formation des individus – surtout les managers – à l’adoption de comportements de donneurs, c’est la capacité pour l’entreprise de développer des formes de leadership fondé sur la bienveillance et l’empathie et de renforcer la coopération – si importante dans un contexte d’après pandémie, comme le montre d’exemple de Sodexo France avec son programme de développement du leadership empathique et collectif4 lancé en 2021. Mais la formation seule n’est pas suffisante pour faciliter la généralisation de comportements de donneurs au sein de l’entreprise, celle-ci doit également revisiter ses pratiques de recrutement en identifiant, par exemple, des profils plus proches de donneurs que de preneurs parmi les candidats. C’est aussi dans le dispositif de management de la performance que l’on peut trouver l’un des leviers les plus efficaces pour inciter les individus, et particulièrement les managers, à faire preuve d’un altruisme raisonné en reconnaissant plus celles et ceux qui donnent et aident leurs collaborateurs, comme le font déjà de nombreuses entreprises qui instaurent des bonus collectifs et mettent en avant le critère de développement des personnes et de l’équipe comme élément clé de performance du manager. Enfin, les systèmes de gestion des carrières peuvent jouer également un rôle clé pour la promotion d’un altruisme raisonné en privilégiant les profils donneurs par rapport à leurs homologues preneurs, surtout si la coopération et l’intelligence collective5 deviennent le nouvel ADN de l’entreprise.

Mais cette prise de position en faveur du renforcement de la culture du don, du partage et de la coopération au sein de l’entreprise ne doit pas occulter le fait que les deux autres profils, le preneur et l’équilibriste, ont aussi leur place – à la réserve près qu’ils soient aussi capables de donner lorsque la situation l’exige. Aux DRH et aux managers revient la responsabilité de la recherche d’un équilibre au sein des équipes entre « givers », « takers » et « matchers ».

(1) Ricard, M. : Plaidoyer pour l’altruisme, Presse Pocket, 2014.

(2) Grant, A. : Give and Take, W&N, 2014.

(3) Mauss, M. : Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Flammarion, Coll Champs Classiques, 2021.

(4) Vincent, M. & Besseyre des Horts, CH. : « Le leadership empathique et collectif comme levier de performance et de transformation : le cas de Sodexo France », Entreprise &Carrières, n° 1555, du 20 au 26 décembre 2021, p. 22.

(5) Du Payrat, C. : Orchestrer l’intelligence collective, Pearson, 2019.