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Le point sur

« Les robots ne remplacent pas les humains, ils collaborent avec eux »

Le point sur | publié le : 30.05.2022 | Nathalie Tissot

Combien de métiers pourraient être remplacés par des robots et donc amenés à disparaître ?

Serge Abiteboul : La question comporte plusieurs dimensions. La première, c’est la qualification de « disparaître ». Le plus souvent, il ne s’agit pas de disparition, mais du remplacement d’une partie d’une production par une machine. Les robots ne remplacent pas les humains, ils collaborent avec eux. Ensuite, cela dépend dans quelle perspective de temps nous nous plaçons : à un an, dix ans ou plus ? Chaque échelle engendre des réponses totalement différentes. Si je réponds de façon générale, je ne connais pas de métier qui ne sera pas remplacé, de façon plus ou moins forte, par des machines, disons, dans les 50 ans à venir. Cela dit, pour l’instant, il est hors de question, par exemple, de vous faire soigner par un robot. Même si les médecins utilisent de plus en plus d’outils informatiques : des scanners hyper sophistiqués, des analyseurs de tumeurs, des outils d’aide au diagnostic… mais au dernier moment, ce sont les médecins qui décident du traitement et surtout parlent au malade.

Cela signifie-t-il que le nombre d’emplois va diminuer ?

S.A. : Depuis toujours, il y a cette idée que s’il y a destruction de travail, il y a création de nouveaux métiers. Quand l’agriculture s’est mécanisée, les paysans ont trouvé du travail dans les usines. Certains économistes pensent que nous allons assister au même phénomène. Je suis quelque peu réticent à envisager cela, en raison des contraintes environnementales : nous ne pouvons pas continuer à produire de plus en plus. Et si nous n’augmentons pas la quantité de choses produites et que nous faisons produire une grande partie par les machines, je ne vois pas comment nous allons faire pour empêcher qu’il y ait moins de travail de type salarié. À cet égard, le report de l’âge de la retraite me paraît un peu surréaliste alors qu’il y aura moins de travail à partager et que les gens devront donc travailler moins. Par ailleurs, nous avons tous été élevés dans l’idée que l’on gagnait sa vie en travaillant. Si le travail est de plus en plus accompli par des machines, cela ne peut pas rester une valeur centrale de l’humanité…

L’utilisation des robots apporte-t-elle des qualifications aux salariés ?

S.A. : Les robots ont tendance à faire monter en compétences certains emplois, mais ce n’est pas tout le temps vrai. Nous pouvons avoir un ouvrier spécialisé qui est remplacé par quelqu’un juste capable de pousser sur des boutons. Dans certains cas, l’être humain se retrouve même à suivre la machine, à être sa petite main, ce qui est la pire utilisation qui soit des machines.

Pourrait-il y avoir de la résistance humaine à l’augmentation de l’utilisation des robots ?

S.A. : Ce qui gêne les humains, ce n’est pas que les robots fassent leur travail, c’est qu’eux-mêmes ne gagnent plus leur vie. La vraie question est un choix économique. Si 90 % de la productivité vient des machines et que les machines sont possédées par 5 % de la population, une grande masse de personnes se retrouve sans aucun revenu. Clairement, cela ne peut pas être une économie durable… Le problème du numérique est donc, à terme, une question de répartition des profits qu’il apporte. Nous avons de nouvelles techniques qui sont en passe de transformer le monde. Comment voulons-nous les utiliser ? Il y a vraiment un enjeu, celui de faire monter en compétences les citoyens sur ces technologies numériques pour qu’ils comprennent leurs choix et qu’ils sachent, par exemple, ce qu’on fait de leurs données. L’État et les associations doivent aussi nous aider à ce que cette technologie soit utilisée pour le mieux. Il y a par exemple aujourd’hui un risque énorme de distorsion de la concurrence. Quand Google fait passer ses services en tête de liste, il peut détruire – et il l’a fait – des PME. Ce sera encore plus vrai avec des robots. C’est toute la domination de l’économie par ceux qui maîtrisent des machines de plus en plus intelligentes qui est en jeu. Il y a une législation sur les services numériques (DMA) qui vient de passer en Europe. Elle protège un petit peu, mais ce n’est qu’une étape.

Auteur

  • Nathalie Tissot