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Le grand entretien

« Trop peu d’élus locaux s’investissent dans la GRH »

Le grand entretien | publié le : 30.05.2022 | Frédéric Brillet

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« Trop peu d’élus locaux s’investissent dans la GRH »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans un Livre blanc consacré à l’action publique durable, le Cercle des acteurs territoriaux, fondé par Hugues Perinel, s’interroge sur la gestion des ressources humaines dans la fonction publique territoriale (FPT) et les moyens de rendre celle-ci plus attrayante.

Qu’est-ce qui a amené le Cercle des acteurs territoriaux à s’intéresser aux questions RH dans la FPT ?

Hugues Perinel : Le Cercle a pour vocation d’imaginer, pour nos collectivités locales, d’autres solutions organisationnelles et managériales, privilégiant la responsabilité, la confiance, l’expérimentation et la réappropriation de la valeur travail. À chacune de ses réunions, le Cercle accueille des personnalités qui nourrissent des travaux donnant lieu à publication. Dans cette perspective, le Cercle vient de publier un Livre blanc encourageant la mise en œuvre d’une action publique durable et responsable impliquant les RH.

Comment les RH peuvent-elles œuvrer en ce sens ?

H.P. : Nous devons aujourd’hui envisager notre appartenance à une organisation en termes de coresponsabilité : comment je contribue à l’équipe à laquelle j’appartiens ? Comment, dans mon métier, je la fais vivre ? Quel est mon rôle, ma valeur ajoutée ? Comment développer le sentiment d’appartenance ? Autant de questions auxquelles les RH peuvent et doivent apporter des réponses pour donner du sens aux multiples métiers de la FPT. Cela dit, le manque d’attractivité de la FPT tient aussi à d’autres causes. D’abord, les jeunes méconnaissent les métiers de la fonction publique territoriale et peinent à se projeter dans cette voie. À cela s’ajoutent une faible évolution des rémunérations ainsi qu’un management et des modes de recrutement perçus comme dépassés. Les difficultés de recrutement concernent surtout les petites collectivités, où les candidats craignent d’être isolés et de ne pouvoir évoluer, les régions les moins attrayantes et certaines professions. Selon un récent rapport sur l’attractivité de la FPT, les métiers les plus en tension sont ceux de la filière médico-sociale (de l’auxiliaire de puériculture au médecin), technique (agent technique, agent de voirie, cuisinier, peintre), administrative (gestionnaire de ressources humaines, ou comptable) mais aussi du numérique.

Cette perte d’attractivité tiendrait aussi au discours ambiant…

H.P. : Largement entretenue par des think tanks et des médias qui en ont fait leur fonds de commerce, l’idée circule que les services publics et ceux qu’ils emploient seraient une charge face à un secteur privé seul véritable créateur de richesses et de compétitivité. C’est tromper l’opinion : que deviendraient en effet les acteurs économiques sans l’aide, l’intervention ou la contribution de la puissance publique ? Qui construirait les routes, les écoles, les équipements, et à quel prix ? Mais si les métiers des services publics créent de la valeur pour les citoyens et le pays, on sait très rarement la mesurer et encore moins communiquer sur elle. Dans leurs discours, les élus devraient davantage évoquer cette création de valeur par les services publics.

Pour restaurer l’attractivité de la FPT vous préconisez de recourir à la pédagogie. Qu’entendez-vous par là ?

H.P. : Recourir à la pédagogie implique d’abord de passer de la question binaire du « trop de fonctionnaires » à celle de « quel service public pour quelle société » ? En d’autres termes, redonner du sens à l’action publique, la rendre ainsi attractive pour les jeunes générations et le faire dans une langue accessible à tous – en valorisant des métiers plutôt que des grades.

Vous invitez les élus à s’investir davantage dans la gestion des RH des collectivités qu’ils gèrent…

H.P. : Trop peu d’élus le font. En valorisant le service public et les agents, ils (re)donneraient de la fierté à ceux qui en font partie, et à d’autres, l’envie de les rejoindre. Il est vrai que la politique RH d’une collectivité constitue la face cachée de l’action des élus, qui ne voient guère d’intérêt à la mettre en avant quand ils se représentent. Mais cela crée une énorme source de frustration pour les personnels, surtout à une époque où les leviers de reconnaissance se raréfient. Si les élus, qui, je le rappelle, sont les employeurs, décidaient de reconnaître la ressource humaine en termes de compétences et pas seulement en termes de coûts, l’effet sur l’engagement des équipes serait immédiat. Rassembler ses équipes, leur montrer où elles sont créatrices de valeur, leur expliquer à quoi elles servent, écouter leurs observations, leur donner la possibilité d’expérimenter certaines de leurs propositions sont autant de moyens de redonner du sens à leur travail… et de donner envie à de nouveaux talents de les rejoindre.

À propos du « New Public Management », qui hérisse souvent les agents, quelle est la position du Cercle ? Les critiques sont-elles toujours justifiées ? Ou bien, par certains aspects, la FPT gagnerait-elle à s’inspirer du privé ?

H.P. : Le New Public Management est derrière nous. Certaines réformes qui s’en inspiraient comme la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), la RGPP (révision générale des politiques publiques), ou la T2A (tarification à l’activité) pour les établissements de santé ont fait des dégâts. La FPT doit inventer son propre modèle, visant à la fois la performance de l’organisation et l’épanouissement des collaborateurs. L’objectif est de redonner du sens au travail et de recréer une confiance réciproque, un sentiment d’appartenance au service d’un véritable pouvoir d’agir. Au Cercle des acteurs territoriaux, nous sommes bien placés pour savoir que le management public est plus complexe que le management privé et que le secteur privé n’est pas toujours plus efficace que le public. Et si ce dernier peut s’inspirer du secteur privé, les solutions doivent être compatibles avec les fondements et les valeurs du secteur public.

Le Livre blanc n’en convient pas moins que la FPT doit évoluer dans ses pratiques managériales et RH…

H.P. : Les agents de la FPT ont en effet intérêt à faire preuve de davantage de discernement dans l’exercice de leur métier. Plutôt que de s’enfermer dans des procédures perçues comme rébarbatives et datées, il faut leur donner la possibilité de s’interroger sur l’impact social de leur action et la manière dont ils interviennent. Valoriser la responsabilité sociale de la FPT, c’est (re)considérer la place et le rôle de l’administration, le sens de l’action publique. C’est intégrer cette responsabilité comme un élément structurant du projet d’administration en adéquation avec le projet politique, autour de questions à se poser collectivement : À quoi servons-nous ? Quelle est notre identité ? Quelle est notre raison d’être ? Comment nous projetons-nous dans l’avenir ? Comment rendre tout cela opérationnel ? En se posant ces questions, on rendra plus attrayants les métiers territoriaux.

Le Livre blanc aborde la question des concours, pas toujours en phase avec la réalité des métiers et les nouvelles générations. Que faut-il changer ?

H.P. : Dans la fonction publique territoriale, le nombre de candidats présents aux concours organisés par les centres de gestion ne cesse de baisser. La majorité des membres du Cercle ne remet néanmoins pas en cause le principe du concours, reconnu comme une garantie du statut général des fonctionnaires. Paraphrasant Churchill, l’une de nos membres a expliqué que « le concours est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres ». On peut néanmoins faire en sorte que le concours devienne un outil de recrutement et non de sélection. Il faut tendre vers des concours moins généralistes, plus en lien avec les cursus universitaires qui préparent aux métiers concernés. Concevoir des épreuves qui garantissent mieux les compétences indispensables aux postes. Il faut pour cela que les employeurs précisent plus clairement la nature de leurs besoins, des profils et des valeurs attendus d’un candidat avant de définir le contenu des épreuves. Il faut, enfin, professionnaliser la fonction de membre de jury.

Enfin, les délais de recrutement dans la FPT et l’accueil des nouveaux collègues semblent apparemment poser un problème…

H.P. : Entre l’identification du besoin, l’élaboration du profil, la publication de l’annonce, l’analyse des candidatures, les entretiens, puis le jury, il peut parfois se passer plusieurs semaines, le risque étant de perdre ainsi des talents qui accepteront un poste chez un employeur plus réactif. Ce n’est pas une fatalité et les employeurs qui le souhaitent savent très bien accélérer la procédure. Concernant l’accueil des nouveaux arrivants, FP21, l’association de jeunes agents de la fonction publique, a effectué un sondage interne sur la prise du premier poste : cette étude relève que trop souvent, les jeunes recrues se trouvent démunies à leur arrivée pour appréhender les spécificités du secteur, les codes et les coutumes. Heureusement, les managers du public ont pris conscience de cette faille et la situation tend à s’améliorer sur le terrain.

L’interviewé

Après des années comme journaliste en Amérique du Sud et en Afrique, Hugues Perinel devient rédacteur en chef de la Lettre du Cadre territorial puis Directeur des rédactions de l’ensemble des titres Service public du groupe Le Moniteur, ce qui l’amène à animer de nombreux colloques pour les services publics et les associations professionnelles et à s’intéresser au management et aux organisations. Par ailleurs coach, médiateur et fondateur du think tank « le Cercle des acteurs territoriaux », il publie régulièrement des articles et ouvrages sur ces thèmes.

Auteur

  • Frédéric Brillet