Alors que la porosité entre vie personnelle et vie professionnelle est croissante, pourquoi ne pas en profiter pour inciter les salariés aux bons gestes – depuis le recyclage des déchets jusqu’à une plus grande discipline numérique – dans l’espoir de faire essaimer ces pratiques ? Certaines organisations agissent déjà en ce sens.
Depuis la loi Climat et résilience du 22 août 2021, les membres du comité social et économique (CSE) ont de nouvelles attributions liées au climat, dans les entreprises de plus de 50 salariés. Mais si le CSE est désormais en mesure de rendre un avis en matière de conséquences environnementales liées aux activités de l’entreprise, la politique de cette dernière, en matière de responsabilité sociale et environnementale, ne peut-elle pas aussi impliquer d’informer et d’éduquer les salariés aux bons gestes du quotidien ? Certaines entreprises ont déjà franchi le pas, que ce soit sur la sensibilisation, le zéro déchet ou le « green IT ».
Des formations et des informations qui débouchent sur une évolution des pratiques de tous les jours et s’étendent donc au-delà du travail pour entrer dans la vie quotidienne.
« Nos premières mesures datent de 2019, relève Julie Récalde, responsable efficience et innovation RH chez Mazars. Nos collaborateurs faisaient état d’un nombre d’e-mails trop élevé à gérer. » Au nom de l’efficacité, de la productivité et du bien-être, le cabinet de conseil adopte d’abord un outil – Mailoop – visant à réduire le volume de courriels professionnels, en mesurant le nombre de messages envoyés et à qui (souvent trop de récepteurs !) et s’ils sont ouverts. Puis il dote les collaborateurs d’un véritable tableau de bord, indiquant le nombre d’e-mails envoyés par jour, ceux qui ont pu l’être en dehors des horaires de travail, etc. « Nous avons également mis en place un programme d’accompagnement sur l’art de l’e-mail et du ciblage, afin de développer “l’empathie numérique” et diminuer le stress », ajoute-t-elle.
C’est aussi une démarche en faveur de la qualité de vie au travail qui a incité une PME (60 salariés) de la Drôme, Epitact, spécialisée dans les dispositifs de podologie et d’orthopédie légère pour des applications médicales, à lancer des activités liées au respect de l’environnement. La QVT – mais pas seulement. « Nous avons décidé, il y a un peu plus de deux ans, avec six autres entreprises locales, de travailler l’attractivité par la QVT, explique Pascale Rabeau, directrice de la supply chain. Nous sommes basés à Loriol (6 500 habitants) et ce n’est pas facile d’attirer des talents. » Pour ce faire, au-delà d’une bonne communication, mettant en valeur les collaborateurs, et des activités sportives qu’elle propose, la société a mis en place des ateliers zéro déchet, à l’initiative, d’ailleurs, d’une salariée, Océane Martin, modéliste confection. Il s’agit, concrètement, de recycler des tissus pour en faire des lingettes démaquillantes, des éponges de cuisine et des linges pour conserver les aliments. « C’est sans prétention, mais ce sont des petits gestes qui visent à limiter notre impact sur la planète », relève Pascale Rabeau. « Les salariés sont très satisfaits de pouvoir agir à leur façon, déclare de son côté Océane Martin. En outre, cette pause, créative et manuelle, dans notre journée de travail, permet une meilleure connaissance des équipes entre elles et une plus grande cohésion. » De quoi également, avec ces actions, faire réfléchir les salariés. « Nous avons aussi initié une action de tri sélectif, et nous nous sommes aperçus que ce n’était pas acquis pour tout le monde… », ajoute ainsi la directrice de la supply chain. Les salariés d’Epitact prennent, de plus, du temps pour nettoyer les alentours de leur lieu de travail – « le mistral apporte de nombreux déchets plastiques, explique Pascale Rabeau, et cela nous a permis également de sensibiliser les entreprises autour de nous. »
En effet, « il ne s’agit pas de culpabiliser les collaborateurs, mais de leur donner de bons réflexes », reprend Julie Récalde, de Mazars, en parlant d’un deuxième projet du cabinet, dont le but était, au-delà du confort des équipes, de réduire l’empreinte carbone des activités numériques. Cette démarche green IT, en cours depuis 2020, est ainsi accompagnée d’outils qui bloquent les e-mails adressés à plus de dix personnes, les pièces jointes trop nombreuses et trop volumineuses, de même que d’un système de type Wetransfer maison et moins consommateur d’énergie. Et pour sensibiliser encore plus les salariés à leurs activités numériques et leur impact sur l’environnement, le cabinet lance prochainement un « carbone score », qui donnera le niveau d’émissions de gaz à effet de serre découlant du numérique. De quoi donner de bons réflexes, « qu’ils pourront aussi reprendre chez eux, en vidant leur boîte mail personnelle, par exemple », indique Julie Récalde. D’ailleurs, les retours des collaborateurs et des managers sont positifs. Les bonnes pratiques sont désormais de mise, sur le numérique comme sur le reste. Le tri de déchets informatiques est ainsi devenu la règle et nombreux sont les salariés qui assistent aux séances de formation supplémentaires mises en place par l’entreprise et dispensées par la Fresque du climat. L’association, créée fin 2018, propose en effet des ateliers interactifs et participatifs, destinés à initier aux réalités du changement climatique. Et elle s’impose de plus en plus dans les entreprises. Ce n’est pas la seule, d’ailleurs. La demande est de plus en plus soutenue.
« Depuis plus d’un an, nous nous sommes engagés à soutenir financièrement la plateforme EngageNow, aux côtés d’autres entreprises pionnières (Europcar, Carglass France, Fretlink, Alphi) », indique ainsi Alexandre Bocquillon, responsable climat et énergies nouvelles pour Rubis Énergie, une société spécialisée dans la distribution d’énergies (notamment du biocarburant) et de bitumes, cotée sur Euronext, avec des filiales en Afrique et dans les Caraïbes. D’autres entreprises devraient suivre. « Au-delà de notre engagement en matière de développement durable, lié à nos activités, qui nous fait investir aussi bien dans l’hydrogène que dans le photovoltaïque, nous estimons qu’il y a un autre enjeu, celui de la formation pour tous les collaborateurs. Il s’agit de diffuser une culture dans le but de faire évoluer les comportements », poursuit-il. La plateforme en question, qui se définit comme « le premier site Internet d’engagement pour le climat », propose divers outils pour, en premier lieu, comprendre ce qu’est le changement climatique, et détaille les moyens individuels et collectifs pour agir, propose ainsi un bilan carbone personnel, de même qu’un passage à l’action à travers le gaming, dont des défis climats proposés aux utilisateurs, individuels ou par équipes. « La manière qu’a la plateforme d’aborder ces sujets – pédagogique, ludique, sérieuse et concrète – nous a séduits », poursuit Alexandre Bocquillon.
Certes, le groupe ne constate pas, ou pas encore, le même intérêt de la part de ses salariés partout dans le monde. « À Madagascar, où la plateforme est accessible depuis le 1er février dernier, nous avons lancé des teasers et organisé des échanges en interne, autour d’un café, pour sensibiliser les collaborateurs », indique le responsable climat et énergies nouvelles. Il est trop tôt pour mesurer l’impact que ces informations et ces défis en matière de lutte contre le dérèglement climatique auront sur les comportements, mais « cela met déjà en place la discussion. Il s’agit d’un partage de conscience des enjeux », conclut-il. Et à l’avenir, ce sont les 4 000 collaborateurs du groupe qui auront accès à la plateforme.