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Entretien : « Il faut avant tout changer notre représentation »

Le point sur | publié le : 16.05.2022 | Lys Zohin

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Entretien : « Il faut avant tout changer notre représentation »

Crédit photo Lys Zohin

Associé et directeur de grands projets chez Oasys, un cabinet de conseil en recrutement, outplacement et transition, Patrice de Broissia estime que les forces des seniors sont nettement supérieures aux faiblesses qu’on leur a prêtées jusqu’à récemment…

Comment se fait-il que la France soit à la traîne en Europe en ce qui concerne l’emploi des seniors ?

C’est d’abord un héritage des années 70, durant lesquelles l’objectif majeur était de « sortir » les seniors de l’entreprise, imaginant qu’ils avaient bien mérité de s’arrêter – au risque, pour les restants, de s’avérer fatigués, peu productifs et trop chers. Or les études montrent le contraire. En outre, évidemment, l’idée était de faire de la place aux jeunes… Cela dit, depuis les années 2000, les gouvernements successifs ont quelque peu réarmé les politiques en faveur des seniors et la France a fait de nets progrès pour les 50-55 ans, mais pas au-delà. Il s’agit en tout cas désormais de viser à maintenir en poste ceux qu’il vaut mieux appeler des salariés expérimentés. Au lieu de les pousser vers la sortie, il faut miser sur la continuité de carrière. Dans ce contexte, le rapport Bellon, remis au gouvernement en janvier 2020, proposait, entre autres, un bilan de « compétences », pour les salariés cumulant 20 ans de carrière, afin de les orienter, si nécessaire selon les besoins spécifiques de l’entreprise, tout en tenant compte de la pénibilité au travail. Cela peut impliquer pour ces salariés d’acquérir de nouvelles compétences. Or selon une étude de la Dares de 2016, trois quarts des salariés de plus de 55 ans déclarent ne pas être a priori intéressés par la formation. Cela s’explique sans doute par un format pédagogique à réinventer pour mieux correspondre aux attentes de cette population qui préfère certainement les formats plus co-élaboratifs. D’une façon générale, l’employeur est tenu de favoriser l’employabilité de ses collaborateurs. Les DRH doivent faire en sorte que chacun soit acteur de son employabilité et se forme pour l’optimiser. C’est vrai pour tous les collaborateurs et aussi, donc, pour les seniors. Enfin, je pense qu’il faut avant tout changer notre représentation des seniors au sein des organisations et reconnaître leurs compétences spécifiques et leur réelle contribution à l’entreprise. Cela nécessite de sortir d’une approche court-termiste, trop souvent fondée sur le montant du bulletin de salaire. Si l’impulsion doit venir de plus haut, autrement dit, de la direction, c’est aux spécialistes en gestion des ressources humaines d’envisager des pistes de réflexion pour maintenir les plus de 50 ans en activité, et donc faire bénéficier l’entreprise de leur réelle productivité. Bref, c’est toute la vision de l’entreprise sur ce sujet qu’il faut amender.

Quelles sont les forces des seniors rapportées à leur coût ?

Les salariés expérimentés sont un réel atout pour l’entreprise, et officiellement, tout le monde s’accorde à le dire. Dans le cadre d’une étude que nous avons menée en 2017, auprès de DG et DRH, 77 % d’entre eux l’affirmaient. Coûtent-ils plus cher ? Il serait intéressant de ne pas se focaliser sur leur seul niveau de rémunération, mais d’adopter un raisonnement plus global de type « coût-rentabilité » qui n’occulterait pas certaines réalités : les seniors sont immédiatement opérationnels et ils le restent. Ils sont fidèles à l’entreprise et évitent ainsi d’éventuels coûts de recrutement, souvent élevés.

Plus généralement, ils participent grandement à l’intelligence collective, du fait de leur expérience, et contribuent ainsi à la productivité des équipes. Au même titre que des équipes qui font la part belle à la diversité – de genre, d’origine sociale et ethnique, etc. – sont plus productives, celles qui cultivent la relation intergénérationnelle le sont également.

Et si cela ne suffit pas ?

Il est toujours possible d’assouplir la fin de carrière des salariés expérimentés pour faire baisser leur coût, sous forme d’activité partielle, de retraite progressive, voire de « déclassement ». Ainsi, dans ce dernier cas, le salarié expérimenté accepte une rémunération plus faible, mais il est compensé par des indemnités, comme dans le cas d’un licenciement, et ne subit aucune pénalité sur ses cotisations retraite pour sa pension à venir.

Auteur

  • Lys Zohin