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Pourquoi tant de « bullshit » jobs ?

Les clés | À lire | publié le : 02.05.2022 | Lydie Colders

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Pourquoi tant de « bullshit » jobs ?

Crédit photo Lydie Colders

Dans Imposture à temps complet, le journaliste Nicolas Kayser-Bril interroge le curieux essor des « jobs à la con », à partir de son vécu. Un essai radical sur le pouvoir qui étrille managers et… DRH.

Journaliste spécialisé dans la data, Nicolas Kayser-Bril a gardé un mauvais souvenir de son année passée dans une agence gouvernementale d’aide au développement. Chargé de créer un programme de formation, « en blended learning », « de multiplicateurs de journalistes de données », il peine à cerner son travail, plongé dans un monde aux concepts incompréhensibles, sans résultats réels. De ce « bullshit job », qui l’amènera à jeter l’éponge, il a tiré cet essai très personnel sur ces boulots profondément inutiles, opaques et sans but (« difficiles de savoir à quoi ils servent »), « mais dont les exécutants prétendent l’inverse, par contrainte ou crédulité ». Ceux qui occupent ces postes n’en sont pas toujours conscients, et pourtant, « les “bullshit jobs” sont des impostures ». Dans les pas de David Graeber, l’auteur sonde la dynamique économique et sociale de ces métiers absurdes, la prise de conscience de ce phénomène datant de la crise de 2008, selon lui. Mais dans un contexte toujours aussi difficile aujourd’hui, comment expliquer la persistance des « bullshit jobs » dans les entreprises ou les institutions ? Si certains en souffrent, au fond, c’est bien « qu’ils profitent à quelqu’un ou à un système », déclare l’auteur.

Ciment du pouvoir

Si les « bullshit jobs » se développent, c’est qu’ils servent parfois à valoriser le statut social, selon le journaliste. Et de citer l’exemple de directeurs de PME appréciant d’avoir un gestionnaire de portefeuille « même si son travail n’apporte rien » de plus qu’ils ne pourraient faire eux-mêmes. Dans d’autres cas, la myriade de consultants ou de prestataires brassant du vent (il fustige en particulier l’IA dans la fiabilité des recrutements) servirait de pare-feu… aux DRH. « Beaucoup de professionnels des RH s’entourent d’outils impressionnants », dit-il. Là encore, « il est indispensable qu’ils ne soient d’aucune utilité », sinon « ils risqueraient de remplacer une partie de l’équipe RH ». C’est ainsi, explique-t-il, que des sociétés high tech « prospèrent malgré l’absence de preuves de leur utilité ». Nicolas Kayser-Bril a la dent dure contre les ressources humaines, mais aussi envers les managers. Réorganisations perpétuelles, reporting abrutissant, novlangue (à l’agence, impossible de soulever un problème : « on me demandait d’être orienté solutions »), son jugement tombe : « en oblitérant la conscience professionnelle des employés […], les “bullshit jobs” empêchent les travailleurs de contester les décisions des dirigeants ». Ils seraient donc « un formidable moyen de conserver le pouvoir »… La thèse de la domination sociale se défend, même si l’auteur mélange trop les genres. Reste une question : quid des résultats tangibles, valorisés du travail ? Les entreprises ont-elles intérêt à démotiver leurs cadres noyés dans l’inutile ? Pas sûr…

Auteur

  • Lydie Colders