L’agence de communication angevine a profité du confinement de 2020 pour passer à 28 heures travaillées payées 35. Pour des raisons climatiques et économiques, l’idée trottait dans la tête de ses dirigeants depuis quelque temps. Sa mise en œuvre réjouit les 36 collaborateurs. Reportage.
Le lundi, il « plante une forêt ». Le reste de la semaine, il gère l’agence de communication MorganView, qu’il a cofondée en 2009. Avec Philippe Vioux, son associé, Morgan Bariller a choisi pendant le confinement de 2020 de passer à la semaine de quatre jours. Soit un contrat de 35 heures, mais avec « un jour par semaine offert », précise d’emblée le dirigeant. « Une semaine de 28 heures ne permettait pas de cotiser à taux plein pour la retraite. Nous avons donc choisi, sur les conseils d’avocats spécialisés, de rester à 35 heures, en offrant le lundi à tout le monde (soit 52 jours de congés supplémentaires par an) », poursuit-il.
Le grand bâtiment noir de l’agence, situé dans la zone industrielle de Beaucouzé, en périphérie d’Angers, est donc vide le premier jour de la semaine. « Pour que ça marche, il faut que tout le monde ait le même jour chômé », affirme Romain Guichard, chef de projet vidéo et également co-associé. Ce jeudi où nous allons rencontrer l’équipe, l’open space paraît bien grand pour la petite dizaine de salariés présents. Ils ont choisi de venir travailler au bureau, malgré la possibilité de télétravailler offerte à tous les jeudis et vendredis. Romain Guichard, qui déclare « ne pas tellement aimer télétravailler », adore en revanche ses lundis off. Il en profite pour faire du sport. « Avant, j’en faisais le week-end. Maintenant, la fin de semaine est consacrée à du temps familial, avec ma femme et mes enfants », dit-il. En outre, alors qu’avant, les Guichard avaient une aide ménagère, le père de famille fait désormais le ménage le lundi.
Se passer de cette aide n’est pas le seul avantage économique. « Pour l’entreprise, cela fait moins d’ordinateurs allumés, moins d’électricité dépensée, peut-être moins de ménage aussi, énumère Morgan Bariller. Mais ce n’est pas vraiment l’objectif. En revanche, pour nos collaborateurs, un jour de trajet en moins représente déjà une belle économie. » Il cite le cas de Cindy, web designeuse, qui fait partie des petits salaires de l’entreprise (l’ensemble des rémunérations allant de 2 000 à 6 000 euros net). Elle habite à 30 kilomètres de son lieu de travail. « Elle ne vient plus que trois jours par semaine (le quatrième étant en télétravail), ce qui correspond à 180 kilomètres en moins : une économie de temps, d’énergie et financière », se félicite Morgan Bariller.
Tout en se (re)faisant un café à la machine à grains installée dans la salle de pause/cuisine de l’entreprise, le dirigeant développe sa conviction. Très inspiré par Jean-Marc Jancovici (ingénieur, expert du climat et grand promoteur de la transition énergétique, NDLR), Morgan Bariller défend non seulement les économies offertes aux salariés par la semaine de quatre jours, mais surtout, son impact écologique positif. « En supprimant un jour par semaine pour l’ensemble des collaborateurs, cela permet d’économiser 370 000 kilomètres à l’année, précise-t-il. C’est aussi moins de consommation de chauffage, des ordinateurs et des téléphones que l’on devra remplacer moins rapidement, des machines qui ne tournent pas. » Car à l’étage en dessous, le studio de réalisation vidéo est plutôt gourmand en énergie. Bref, pour Morgan Bariller, la semaine de quatre jours est à la fois une mesure sociale et environnementale. « Cela apporte beaucoup de réponses à beaucoup de problématiques », conclut-il.
En se lançant dans cette aventure, MorganView a décidé d’être un laboratoire. « Beaucoup de dirigeants d’entreprise sont intéressés, mais ne sautent pas le pas. Lorsque j’ai vu que Microsoft, au Japon, avait expérimenté la semaine de quatre jours pendant un mois, en 2019, avec des retombées positives, je me suis dit que nous aussi nous pouvions tenter l’expérience », relève-t-il. Aujourd’hui, un directeur administratif et financier vient d’être recruté, avec dans ses missions l’innovation économique. L’expérience angevine est en effet un succès. Qui a pris un peu de temps…
Savoir que « la boîte était vide le lundi a demandé un temps d’acceptation pour mon co-associé. Mais l’on voit maintenant que les collaborateurs sont moins fatigués et plus performants », indique Morgan Bariller. Et si, au départ, certains salariés doutaient, « aujourd’hui, il serait difficile de revenir en arrière !, remarque de son côté Romain Guichard, avec un grand sourire. Quand, le vendredi soir, l’on sait que l’on est en week-end pour trois jours, la vie change. Et lorsque ma femme est partie travailler le lundi matin, alors que je restais à la maison, au début, en tout cas, cela m’a fait bizarre. » Il avoue même qu’il culpabilisait… Quant aux 36 collaborateurs, ils se sont habitués.
Arrivée dans l’entreprise en septembre dernier, Bénédicte Angles, la directrice artistique, à son compte auparavant, avait plutôt l’habitude « d’horaires très étendus, dit-elle. Les quatre jours, je ne savais pas ce que c’était, et je ne pensais pas que c’était possible ! » D’ailleurs, les premiers mois, elle ne se les autorise pas vraiment. « Le mardi matin, mes collègues me demandaient : “Alors, ton lundi ?”, raconte-t-elle. En fait, j’avais bossé de chez moi… » Au fil des semaines, elle prend cependant de nouvelles habitudes. Ses collègues ne sont pas joignables (sauf en cas de coup de feu, avec des heures de rattrapage ensuite). Et les clients – essentiellement des grands comptes, comme Veolia ou VYV – ont également été prévenus de ce jour off. Bénédicte Angles profite désormais de ce lundi pour des activités sans cesse repoussées. La carte d’identité de son fils à refaire. Un rendez-vous chez un médecin spécialiste à caler… « Et prendre du temps pour moi », ajoute-t-elle. Elle projette même de ressortir les pinceaux et de se remettre à la peinture. Autant d’espace mental en plus qui lui permet de revenir au bureau l’esprit serein. Et plus productive.
« J’adapte ma façon de travailler, poursuit-elle. Dans ma précédente boîte, je faisais 20 essais de logos. Désormais, j’en fais moins, et cela fonctionne très bien. » Autant dire qu’elle a aussi gagné en efficacité.
Quant aux clients de MorganView, « leurs réactions faisaient partie de nos interrogations, reconnaît Romain Guichard. Finalement, ils s’adaptent, ou alors, ils sont jaloux ! ». « Oui, beaucoup le sont ! », renchérit Bénédicte Angles. « Il y a cinq ans, la semaine de quatre jours ne serait pas passée », réagit de son côté Jérémy Martin, qui a rejoint le reste de la troupe en salle de pause. Pour ce chef de projet web, les mentalités ont clairement changé. C’est peu de le dire. Cinq ans en arrière, des voisins de MorganView s’étaient plaints de chaises longues installées sur la terrasse de l’entreprise… qui n’encourageait pas leurs salariés à travailler ! « En faisant de la communication, tout le monde comprend », résume Bénédicte Angles. Entreprises comme candidats à un poste. MorganView a repris l’agence nantaise Liner à l’automne dernier et compte augmenter ses effectifs dans les prochaines années. « Alors que le marché du recrutement est tendu, nous nous différencions par le social, souligne ainsi Romain Guichard. Si les candidats adhèrent, la semaine de quatre jours peut clairement aider à les fidéliser ! », se félicite-t-il.
Dans la salle de pause, le café s’est un peu éternisé. Ceux-là semblent habitués à refaire le monde. Ou plutôt, « à penser l’économie autrement », précise Morgan Bariller. Et s’il est trop tôt pour faire vraiment les comptes, alors que les activités ont nettement ralenti avec la crise Covid, l’agence espère regagner cette année ses trois millions d’euros de chiffres d’affaires passés. Et doubler ce montant dans deux ans. MorganView estime que son modèle « opposé au système Google, qui permet de jouer à la PlayStation trois heures dans la journée et de finir à 22 heures, est le bon », indique Morgan Bariller, pour poursuivre : « L’humain a toujours travaillé d’abord pour se nourrir, pas pour l’argent. Il faut donner aux gens les moyens d’exister, de vivre », défend-il, en critiquant pêle-mêle la contrainte des bénéfices, l’école, « où les enfants passent trop de temps », sans oublier les problèmes de couples « qui ne se voient même plus »… MorganView veut, avec ses semaines de 28 heures, « faire société autrement », comme dit son dirigeant. Une société avec des lundis au soleil. Ou en forêt…