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Comp & Ben : Les entreprises revisitent la notion de rémunération

Le point sur | publié le : 02.05.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Comp & Ben : Les entreprises revisitent la notion de rémunération

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Pour contrer l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat, les entreprises peuvent, si elles le veulent et en ont les moyens, augmenter les salaires. De plus en plus, elles se tournent cependant vers d’autres solutions, liées aux conditions de travail et aux avantages en tous genres.

Sommes-nous au début d’un long bras de fer ? Toujours est-il qu’aujourd’hui, les organisations syndicales n’hésitent plus à lancer des mouvements de grève, comme chez Dassault ou Thales, ou à claquer la porte des négociations salariales lorsqu’elles considèrent comme irrecevables les propositions des directions d’entreprises ou des branches professionnelles. Cela a encore été le cas le 21 avril dans le secteur de la logistique, face au refus des organisations patronales d’accepter la hausse des minima de branches. Et la tension est d’autant plus forte que la plupart des salariés, en particulier ceux de la « deuxième ligne », sortent d’une période de gel salarial consécutive à la pandémie qui, combinée à l’envol de l’inflation depuis six mois, ne fait que renforcer leurs attentes. « La réapparition de conflits sociaux en lien avec les rémunérations est un signal très clair, relève Pierre Marco, directeur du développement du cabinet de conseil Secafi, du groupe Alpha. Les organisations syndicales ont intérêt à lancer les négociations annuelles obligatoires (NAO) dès que possible. L’entreprise aussi, d’ailleurs, car elle montrera ainsi tout l’intérêt qu’elle porte à ce sujet. »

Pour autant, « ce que nous préconisons aux organisations syndicales, c’est d’inclure dans les accords des clauses de revoyure durant l’année, car l’inflation prend une ampleur inédite, poursuit Pierre Marco. Dans certaines entreprises, les accords les ont déjà prévues. De plus, la visibilité s’est réduite. Les entreprises ont désormais besoin de davantage de réactivité face à l’évolution des marchés. »

En outre, sous l’effet de l’inflation et de son accélération depuis le début de l’année, le Smic a augmenté de 2,65 % le 1er mai. Pour les entreprises qui emploient un large volant de main-d’œuvre peu qualifiée, l’équation va devenir de plus en plus complexe. Cette augmentation du Smic place en tout cas nombre de branches professionnelles dans une situation délicate, puisqu’environ la moitié d’entre elles ont des minima inférieurs…

Comment les entreprises vont-elles éviter de se retrouver prises en tenaille entre une inflation (sur les matières premières, notamment) qui réduit leurs marges et des revendications salariales d’autant plus difficiles à satisfaire qu’elles pèseraient là aussi sur les bénéfices ?

Pour Jean-Max Koskievic, professeur d’économie à la Paris School of Business, les éléments de rémunération dits périphériques sont une option possible. Ils n’ont cessé de prendre de l’importance depuis le début des années 2000. « Aujourd’hui, les entreprises misent presque exclusivement sur ces “périphériques” pour fidéliser leurs collaborateurs, dit-il. L’intéressement, la participation, les dispositifs d’épargne salariale en font partie, mais aussi, de plus en plus, des avantages en nature, qui sont d’autant plus intéressants pour l’entreprise qu’ils sont défiscalisés ou exempts de cotisations sociales. De plus en plus d’entreprises, y compris des PME, les proposent désormais. Cela va des outils numériques nomades à des abonnements à des clubs de sport, l’accès à des ventes privilégiées, ou la souscription, bonifiée ou gratuite, à des mutuelles, etc. » Cette voie semble d’autant plus prometteuse que les entreprises ne veulent pas s’engager dans une surenchère des rémunérations et que ces « périphériques » sont guidés par deux grands objectifs qui peuvent partiellement se recouper : faciliter la vie des salariés et leur permettre de faire des économies. « Dans un tel contexte, les idées les plus originales bénéficieront d’une sorte de prime et favoriseront l’attractivité et la fidélisation, estime Jean-Max Koskievic. En fait partie la possibilité d’amener ses enfants dans une crèche d’entreprise ou son animal de compagnie sur son lieu de travail. D’où aussi, l’essor des services de conciergerie (pressing, etc.). Cette dimension de plus en plus privée du lieu de travail est la contrepartie de la prolongation du travail au domicile des salariés. »

Réviser le socle social

Pierre Marco estime pour sa part que « les NAO portent avant tout sur les rémunérations et les accords sont relativement silotés : d’un côté, ceux relatifs à la rémunération, et de l’autre, ceux concernant le télétravail, par exemple. Le vrai débat porte sur la relation entre augmentation générale et augmentation individuelle. Pour les organisations syndicales, la boussole reste l’inflation, alors que les directions d’entreprises souhaitent garder un maximum de latitude avec un large volant d’augmentations individuelles par rapport aux augmentations générales. »

L’inflation pourrait de toute façon avoir des effets variés, en fonction des types d’entreprises. Dans la sécurité des biens et des personnes, par exemple, la masse salariale peut représenter jusqu’à 80 % des coûts et les collaborateurs sont très volatils. En revanche, dans la construction automobile, elle ne représente que 5 % du coût de production d’un véhicule. Enfin, dans certains métiers, très différents au demeurant – serveur, ingénieur, data analyste, soudeur de haute précision… –, il y a une vraie pénurie, relève Pierre Marco. « Les directions vont devoir faire preuve de discernement pour ne pas créer de trop grands écarts entre catégories de salariés et elles vont devoir réviser leur “socle social”, c’est-à-dire l’ensemble de ce qu’elles proposent pour trouver une meilleure adéquation avec les attentes des salariés », assure-t-il. Qu’elles le veuillent ou non, les entreprises seront sans doute contraintes d’examiner de nouveau l’organisation du travail, voire le temps de travail, afin d’assurer flexibilité et autonomie dans la réalisation des tâches.

Enfin, « corréler la rémunération à des critères extrafinanciers est envisageable, ajoute Pierre Marco. C’est déjà le cas dans le transport routier où des primes sont accordées aux chauffeurs dont la conduite permet de réduire la consommation de carburant, ce qui diminue les coûts et l’impact sur l’environnement. » Ces critères se voient donc aussi invités dans la reconfiguration de la notion de rémunération en cours. Reste que toutes ces nouvelles approches peuvent encore être court-circuitées par une brusque poussée de l’inflation…

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins