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Prévention : Travailler reste dangereux pour la santé

Tendances | publié le : 25.04.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Prévention : Travailler reste dangereux pour la santé

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Alors que sera célébrée la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, le 28 avril, la France peine à réduire les accidents et maladies professionnelles. Et la situation risque de ne pas s’améliorer. En cause, une intensification du travail et un affaiblissement des collectifs.

En 2019, plus de 655 000 accidents du travail et plus de 50 000 maladies professionnelles ont été enregistrés. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) ont représenté 88 % des maladies professionnelles reconnues en 2018 et 30 % des arrêts de travail. Comment expliquer une prévalence aussi forte ? Pour Evelyne Escriva, en charge du pilotage des partenariats à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), cela tient à la structure économique de l’emploi : « En proportion, les TMS restent toujours au premier rang car l’exposition d’une partie des salariés aux contraintes physiques persiste, malgré une représentation largement répandue qui voudrait que le travail pénible ait disparu avec l’avancée de la tertiarisation de l’économie. Et, les TMS sont toujours là, malgré les efforts de prévention. Ce sont des troubles à effet différé et les conditions de travail évoluent au cours de l’exercice professionnel. »

Les statistiques du ministère du Travail montrent aussi que les salariés arrivés récemment dans leur entreprise sont particulièrement exposés, puisque l’indice de fréquence des accidents du travail est deux à trois fois plus élevé que la moyenne dans le premier mois d’embauche. Les données montrent par ailleurs que, pour l’année 2019, 8 % des 15-24 ans qui ont travaillé au cours des 12 derniers mois déclarent avoir été accidentés au travail dans l’année, alors que le taux n’est que de 5 % tous âges confondus. Malgré les « plans santé travail » lancés depuis 2004, la sinistralité reste « beaucoup trop élevée », selon les termes mêmes du ministère. Du côté des expositions, peu de progrès ont été enregistrés. Un tiers des salariés (32,2 %) sont encore exposés à au moins un produit chimique en 2017, soit quasiment le même taux qu’en 1994 (33,8 %) et 10 %, soit 1,8 million de personnes, sont encore exposés à un produit cancérogène. Les salariés les plus exposés sont toujours ceux de la construction (31 %) et les ouvriers qualifiés (30 %).

120 000 cancers par an

Le risque chimique est pour sa part la cause de nombreuses maladies. En Europe, selon l’agence d’information de l’UE en matière de sécurité et de santé au travail, environ 30 % des maladies professionnelles reconnues seraient d’origine chimique. Elles provoquent 120 000 cas de cancers d’ordre professionnel chaque année, soit 53 % du nombre total de décès liés au travail. En France, selon les données du ministère du Travail, les principales maladies professionnelles associées à des agents chimiques sont celles liées à l’amiante, à l’inhalation de poussières de silice, de poussières de bois ou au contact avec les ciments. En 2019 ont été reconnus 2 881 maladies liées à l’amiante, 246 liées à l’inhalation de poussières minérales et 228 cas de lésions eczématiformes de mécanisme allergique. Souvent négligées, les chutes sont à la fois la deuxième cause de décès au travail et la deuxième cause d’accidents du travail dont l’origine est connue, selon la Caisse nationale de l’assurance maladie. Elles ont induit en 2019 plus de 9 millions et demi de journées d’incapacité temporaire de travail. Le secteur agricole paie aussi un lourd tribut. Les chutes de hauteur y représentent 12,4 % des accidents du travail chez les agriculteurs et constituent la 3e cause de décès (23 %).

Depuis 2019, la situation s’est-elle améliorée avec la réduction de l’activité provoquée par la crise sanitaire ? Rien n’est moins sûr, explique Vincent Jacquemond, directeur associé du cabinet de conseil Secafi (groupe Alpha) : « Ce contexte a renforcé deux tendances déjà présentes avant la crise mais qui se sont accélérées. L’augmentation du recours au travail intérimaire et à la sous-traitance, d’une part, et l’éloignement croissant entre les décideurs et la réalité du travail, d’autre part. La première tendance génère un affaiblissement des collectifs de travail du fait d’organisations plus hybrides et de la diversification des statuts d’emploi. Comme, par ailleurs, la crise n’a pas généré un « monde d’après » – la compétition mondiale est toujours là -, et la pression sur l’intensification du travail n’a pas diminué. » Le spécialiste souligne que ce dernier élément a pour corollaire une demande plus forte de soutien social, qui vient malheureusement à manquer du fait de l’affaiblissement des collectifs. Cette dynamique d’ensemble participe selon lui à l’augmentation des risques physiques (TMS) comme psychiques (RPS) liés aux sur-sollicitations.

Reprise avec accidents

Avec l’accalmie sur le front sanitaire, la reprise d’activité n’a pas permis d’améliorer la situation selon Vincent Jacquemond : « Dans de nombreuses entreprises, la reprise ne s’est pas faite dans les meilleures conditions et l’on a constaté le retour d’un certain nombre d’accidents, notamment des accidents graves. Les entreprises font de nombreux efforts pour développer une ’culture sécurité’, mais ils seront vains s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collectifs de travail pérennes. »

Les modifications introduites par les ordonnances de 2017 ont aussi joué un rôle néfaste. « Faute d’avoir mis en place des CSSCT de proximité, certaines entreprises peuvent rencontrer des difficultés à traiter les questions relatives aux conditions de travail dans des CSE aux ordres du jour souvent trop chargés, explique Vincent Jacquemond. Dans les entreprises multi-sites, la centralisation des CSE conduit à un éloignement des représentants du personnel du terrain, qui vient s’ajouter à l’éloignement des décideurs et renforcer le pilotage par les indicateurs. Même lorsque les problèmes de conditions de travail sont remontés, le dialogue social, trop loin du travail réel, a alors peu de chance d’aboutir sur des solutions en phase avec les besoins sur le terrain. » La situation est d’autant moins encourageante que les conditions de travail restent un thème de négociation marginal. Selon le ministère du Travail, elles ne représentent qu’environ 1 % des sujets abordés par les interlocuteurs sociaux dans les accords d’entreprise, et environ 2 % dans les accords de branche.

La situation peut évoluer, estime toutefois Evelyne Escriva, qui fonde des espoirs sur le quatrième plan santé au travail (PST4) dont le déploiement se déroule de 2021 à 2025 : « Il traite d’un certain nombre de thématiques mais aussi d’approches et de partenariats inter-institutions afin d’améliorer l’impact des actions. Il comprend des registres et des niveaux d’action très différents. Il y a d’un côté les éléments tenant aux évolutions légales, qui viennent modifier les modes de fonctionnement et de collaboration des organisations, et de l’autre, des actions plus directement orientées vers les entreprises. » Un espoir bien mince, puisque les entreprises ne manifestent guère d’intérêt pour ce sujet. En 2016, malgré l’obligation légale pesant sur eux, 45 % seulement des employeurs avaient élaboré ou actualisé leur document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP)…

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins