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Insertion : Réhabiliter le travail en prison

Le point sur | publié le : 25.04.2022 | Nathalie Tissot

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Insertion : Réhabiliter le travail en prison

Crédit photo Nathalie Tissot

Création d’un label, d’une plateforme, entrée en vigueur d’un contrat d’emploi pénitentiaire… Les pouvoirs publics tentent d’encourager le secteur privé à faire travailler des détenus et ainsi favoriser leur réinsertion.

Aux représentants d’entreprises, dont Microsoft et Schneider Electric, venus l’accompagner avec la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion lors d’une visite au centre de détention de Muret, près de Toulouse, en décembre 2021, Éric Dupont-Moretti, le ministre de la Justice, déclarait : « Je ne veux plus que vous vous sentiez gênés de faire appel au travail en prison. Au contraire, vous pouvez en être fiers. Le travail en détention est utile aux patrons, aux détenus et, en faisant baisser le risque de récidive, à la société. » Pourtant, ces vingt dernières années, le taux d’emploi des prisonniers en France a reculé de 36 % à 28 %. On compte aujourd’hui environ 20 000 détenus supplémentaires, pour seulement 2 000 offres d’emploi en plus.

Valeur sociale

Parmi les 400 à 450 entreprises qui réalisent une partie de leur activité en milieu carcéral, Safran Power Units, implanté depuis les années 1970 à Muret, emploie une vingtaine de détenus. Formés aux métiers de tourneur-fraiseur et d’ajusteur, les trois quarts d’entre eux font de la production en série. Ils sont rémunérés entre 6 et 7,20 euros par heure, un taux horaire « intéressant », selon David Lopez, le chef du service fabrication. L’entreprise a également accès à un atelier de 600 m2 et aux réseaux de fluides. Par ailleurs, certaines tâches administratives, comme la gestion des paies, sont déléguées à l’administration pénitentiaire.

« Nous sommes loin d’un eldorado industriel, tempère néanmoins le responsable. L’éloignement géographique, les contraintes logistiques, la formation, la motivation rendent la performance économique ardue. Toutefois, il ne peut pas y avoir que cette composante, il faut aussi être en accord avec la notion de seconde chance, de réinsertion », souligne-t-il. « Cela rentre totalement dans notre pratique RSE », confirme Pierre-Emmanuel Goll, le DRH. Cette filiale de Safran Helicopter Engines a décidé d’investir dans de nouvelles machines et de réorienter ses flux de production pour développer l’atelier et atteindre l’équilibre économique. L’équipe de contremaîtres, venus de l’extérieur, devrait également être renforcée. « L’hétérogénéité des niveaux est plus forte que dans nos ateliers traditionnels. Nous avons donc besoin d’un taux d’encadrement supérieur et plus adapté », indique David Lopez.

Mieux accompagner les plus éloignés de l’emploi

Pour attirer le secteur privé, plusieurs dispositifs ont été lancés, dont un label, Pep.s (Produit en prisons dans des conditions responsables et inclusives), et une plateforme, Ipro 360°, qui propose une cartographie des lieux d’activités du travail pénitentiaire. Pour mieux préparer les futurs sortants de prison à la réinsertion professionnelle, l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (Atigip), fondée en décembre 2018, tente aussi de développer des activités dans des secteurs porteurs comme le numérique, l’économie circulaire, le service aux entreprises. « Nous n’avons pas suffisamment d’entreprises, y compris parmi celles faisant travailler en détention, qui embauchent à la sortie aujourd’hui, déplore cependant Albin Heuman, le directeur. D’autant que certaines personnes qui sortent de détention ne sont pas prêtes pour affronter de manière autonome le marché de l’emploi », ajoute-t-il. L’Atigip œuvre à élargir les modalités d’accès à l’emploi en détention aux publics qui en sont les plus éloignés, sachant que 53 % de la population carcérale ne dispose pas du brevet des collèges. À Muret, Envoi, une entreprise adaptée (EA), a vu le jour fin 2021 et accueille des personnes écrouées reconnues en situation de handicap. Treize autres EA devraient ouvrir d’ici la fin 2022. Même isolés, la grande majorité des détenus demandent à travailler. « Il faut pouvoir leur donner l’envie de s’en sortir, créer une relation avec l’entreprise, qu’ils veuillent faire partie de cette entreprise, qu’ils aient un sentiment de responsabilité, et qu’ils le vivent non comme un poids mais comme une source de valeur », témoignait l’un d’entre eux dans un rapport du Secours catholique et d’Emmaüs France, publié en octobre 2021.

Les établissements pénitentiaires

Parmi les 188 établissements pénitentiaires français, les maisons d’arrêt, qui souffrent d’un taux d’occupation de 129 % en moyenne, reçoivent des prévenus en attente de leur procès ou des condamnés dont la peine est inférieure à deux ans. Les centres de détention accueillent les prisonniers présentant les meilleures perspectives de réinsertion sociale ; les maisons centrales, les plus dangereux, ceux dont les peines sont très longues ; les centres de semi-liberté, les détenus bénéficiant d’un aménagement de peine. Il existe aussi des établissements spécialisés pour les mineurs. Enfin, les centres pénitentiaires abritent au moins deux quartiers caractérisés par des régimes de détention différents : maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale.

Le nouveau contrat d’emploi pénitentiaire

La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, adoptée en novembre 2021, prévoit la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire qui encadre les conditions de travail en détention. Il précise la durée de la période d’essai, le montant minimal de la rémunération (45 % du Smic brut en production, entre 20 % et 33 % au service général), la durée de travail hebdomadaire… Il offre aussi aux travailleurs incarcérés la possibilité d’ouvrir un compte personnel de formation permettant de mobiliser des droits à la sortie. Enfin, il leur permet de cotiser à certains droits sociaux comme l’assurance chômage, vieillesse… et d’avoir droit à des indemnités en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail. Cependant, l’Observatoire international des prisons (OIP) juge la réforme très « timide ». « Nous nous demandons bien en quoi, parce qu’on est en prison, on n’aurait pas le droit à un congé maladie, par exemple, relève Prune Missoffe, responsable analyses et plaidoyer. Il y a des distinctions avec le droit commun qui ne se justifient pas par des questions inhérentes à la détention. » Elle dénonce aussi une rémunération toujours très faible et le fait que les droits collectifs – avoir des représentants du personnel, des délégués syndicaux… –ne soient pas abordés dans la réforme. « Si les droits des détenus mettent tant de temps à avancer, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas la possibilité de s’exprimer », regrette-t-elle.

Auteur

  • Nathalie Tissot