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Formation : Améliorer la réinsertion, le pari du centre de détention de Melun

Le point sur | publié le : 25.04.2022 | N. T.

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Formation : Améliorer la réinsertion, le pari du centre de détention de Melun

Crédit photo N. T.

L’établissement expérimente l’apprentissage dans son imprimerie historique. Il est également le premier à avoir ouvert une agence web qui forme et emploie des détenus en tant que développeurs. Reportage.

« Quand je suis au travail, je ne suis pas en détention, mes soucis sont dans ma cellule », assure Nicolas W.. Ce détenu travaille depuis huit ans à l’imprimerie du centre de détention de Melun (Seine-et-Marne), gérée par le service de l’emploi pénitentiaire. Elle existe depuis 1878. Un long couloir voûté, auquel on accède par une grande porte blindée, dessert les différentes salles de la chaîne de fabrication. Ici, le bruit des machines et les prisonniers qui circulent dans leurs tenues bleues détonnent avec le calme de la cour de promenade, déserte le matin. « Quand j’arrive, je fais le tour de l’atelier, je rencontre les personnes postées aux autres étapes de fabrication, c’est intéressant », poursuit l’opérateur en charge de la mise en page des documents. Au total, 91 détenus sur 288 travaillent ici, et une trentaine d’autres à l’atelier de métallerie. Le délai d’attente moyen pour être affecté à un poste est de six mois. « Nous sommes une imprimerie comme à l’extérieur, tout le reste ne nous intéresse pas », garantit Nathalie Lakatos, la responsable adjointe de l’atelier imprimerie. De l’élaboration des devis à la préparation des colis, tout est réalisé par des personnes écrouées. Parmi les clients : des ministères ou des entreprises privées qui sous-traitent. Dans une pièce surnommée « l’aquarium », séparée par des vitres du reste de l’atelier, des détenus s’affairent, chacun à son bureau. Ils plient et collent les futurs registres de garde à vue utilisés dans tous les commissariats de France. Dans une autre salle, ils fabriquent minutieusement des sceaux, gravent des couvertures d’ouvrages ou façonnent des écussons pour l’armée. Aux machines d’impression, quatre travailleurs de moins de 29 ans sont en apprentissage.

Expérimentation de l’apprentissage

Depuis septembre 2021, l’imprimerie de Melun est en effet la toute première à expérimenter la formation en apprentissage en milieu carcéral. Ceux qui la suivent sont encadrés par deux tuteurs et devraient passer leur bac professionnel dans un an et demi. « Aujourd’hui, trois sont présents et motivés, un autre est très souvent absent », note Nathalie Lakatos. À côté de la pratique, ils suivent des cours théoriques, dispensés par des formateurs de CFA. « Les détenus acquièrent un savoir au niveau des métiers d’impression qui peuvent déboucher sur plein de choses », relève Nicolas Dézaly, officier en charge du travail pénitentiaire et de la formation professionnelle. Au centre de détention de Melun, deux autres formations professionnelles – de peintre en bâtiment et d’agent de propreté et d’hygiène – peuvent accueillir jusqu’à douze personnes chacune. « Ce sont des professions très recherchées dehors et nos formations sont les mêmes qu’à l’extérieur », assure le lieutenant pénitentiaire, qui nous conduit, à l’étage du bâtiment, dans un univers bien loin des clichés qui circulent parfois.

Une agence web en détention

Des bureaux, refaits à neuf et similaires à ceux que l’on pourrait trouver dans une entreprise en milieu libre, hébergent le projet Code Phenix. Porté par une association depuis 2019, son objectif est de favoriser la réinsertion des détenus dans le secteur – en tension – du numérique, à travers la formation, l’expérience professionnelle et la préparation au retour à l’emploi.

Autour d’une grande table, où sont installés des ordinateurs, huit personnes incarcérées, de tous âges, sont formées au métier d’intégrateur web pendant six mois. « C’est de l’or, cette formation, témoigne Clément M. qui l’a intégrée en septembre 2021. Cela me plaît énormément. C’est un peu mon domaine. Je m’étais autoformé avant la détention et là, c’est une bonne occasion d’apprendre vraiment ce métier. » Il fait glisser sa souris pour montrer sur l’écran le type de site qu’il apprend à réaliser. « C’est une formation difficile – dans le bon sens du terme. Nous faisons des choses que nous ne nous pensions pas capables de faire », ajoute-t-il. Il souhaiterait rejoindre ensuite l’agence web créée au sein du centre de détention, qui compte dix anciens de la formation. « Quand la motivation est là, il n’y a aucun problème en matière de niveau », note d’ailleurs Brieuc Le Bars, le directeur de Code Phenix.

À l’intérieur de la prison, l’accès à Internet est interdit pour des raisons de sécurité. Les détenus travaillent donc sur un intranet, Brieuc Le Bars et son collègue prenant ensuite le relais. « Nous ne sommes pas venus dans l’objectif de dégager du profit. Notre problème est davantage de trouver des clients que de réaliser les prestations dans les temps », relève le responsable. L’association œuvre également à l’accompagnement des prisonniers dans leurs perspectives d’emploi à la sortie, en leur proposant par exemple de rencontrer des développeurs pour désacraliser le métier. « Même si les personnes sont à l’aise au sein de l’agence, elles peuvent penser qu’elles n’ont pas leur place dans une autre agence à l’extérieur », explique le fondateur de Code Phenix, qui prévoit l’ouverture d’une antenne dans un autre établissement pénitentiaire cette année.

Les formes de travail en détention

Plus de 50 % des détenus qui travaillent sont affectés au service général. Les auxiliaires, comme on les surnomme, participent à l’entretien et au fonctionnement de la prison en assurant la restauration, la blanchisserie… Près de 40 % des détenus-travailleurs opèrent pour le compte d’opérateurs privés, des entreprises principalement, mais aussi quinze structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). Dix autres de ces structures devraient ouvrir d’ici fin 2022. Enfin, le service de l’emploi pénitentiaire, géré par l’administration pénitentiaire, emploie 6 % des détenus qui travaillent.

Des établissements où tous les détenus ont accès à un emploi ou une formation

Le projet InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi) prévoit la construction de trois établissements pénitentiaires expérimentaux dans lesquels tous les détenus seront inscrits dans un parcours à la fois de formation et de travail. Liés par une convention de coopération avec les collectivités et les entreprises locales, ils ouvriront leurs portes à Arras (Pas-de-Calais), en 2025, et à Toul (Meurthe-et-Moselle) et Donchery (Ardennes), en 2027. Ces structures ne compteront pas plus de 180 détenus placés en cellule individuelle sous un régime de détention dit « responsabilisant », dont le but est de les amener à l’autonomie.

Auteur

  • N. T.