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Entretien : « Il faudrait au minimum doubler l’investissement consenti par l’État »

Le point sur | publié le : 25.04.2022 | N. T.

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Entretien : « Il faudrait au minimum doubler l’investissement consenti par l’État »

Crédit photo N. T.

Benjamin Monnery est économiste, maître de conférences à l’université Paris Nanterre et co-auteur, avec Anna Montagutelli et Saïd Souam, du rapport « Économie du travail en prison : enjeux, résultats et recommandations » publié en septembre 2021.

Quels sont les bénéfices du travail en détention ?

Il améliore les chances de réinsertion des détenus en leur permettant de faire du temps de détention un temps utile. Il y a aussi des bienfaits beaucoup plus pratiques comme de lutter contre les effets nocifs de la surpopulation carcérale. La promiscuité crée des violences ou des tensions entre détenus ou avec le personnel. Le travail, comme d’autres activités, est alors un moyen de sortir de la cellule, de créer une soupape où tous les acteurs peuvent respirer.

Et en termes économiques ?

Selon une étude, menée par le service statistique du ministère de la Justice et publiée en juillet 2021, le travail en détention permet de réduire le risque de récidive de l’ordre de 5 % en France. Ces 5 % de récidive en moins ont de la valeur sociale. Pour notre part, nous estimons le coût moyen d’une récidive à un montant se situant entre 30 000 et 80 000 euros environ. Ce qui nous amène à dire que la politique actuelle de l’État en France sous-investit largement dans cette activité socialement rentable. Le niveau d’investissement consenti par l’État, que nous chiffrons à environ 50 millions d’euros par an, est très nettement en dessous de ce qui serait socialement efficace. Nous suggérons qu’il faudrait au minimum le doubler et très probablement le quadrupler.

Pourquoi la part des emplois du secteur privé a-t-elle diminué ?

Il y a des explications classiques. Les prisons ne sont pas pensées à l’origine pour accueillir des ateliers. Ils ne sont pas assez grands ni bien équipés. Les établissements pénitentiaires sont aussi de plus en plus éloignés des centres-villes et donc potentiellement des zones d’activités. Quant aux problèmes de sécurité, ils sont évidents. On ne fait pas rentrer ou sortir un camion en détention comme dans n’importe quel entrepôt. Par ailleurs, les entreprises qui interviennent en prison jugent la productivité des détenus trop faible. Le turn-over est élevé, en particulier dans les maisons d’arrêt, où les peines sont plus courtes. D’autres explications tiennent aussi à la crise économique de 2008, puis à celle de la Covid en 2020. Enfin, il existe des éléments plus tendanciels, liés à la mondialisation. Le travail effectué en détention est assez facilement externalisable, à l’étranger notamment.

Le nouveau contrat pénitentiaire peut-il améliorer les choses ?

Plusieurs avancées sont intéressantes – qu’il faut saluer, en particulier la reconnaissance d’un véritable contrat. Désormais, le travail en détention ouvre des droits, notamment à la retraite ou au chômage. Mais il y a toujours cette logique du travail pénitentiaire qui sert certes la logique de réinsertion, mais aussi une logique disciplinaire de gestion des détenus. L’accès à un travail ou non sera toujours utilisé comme une récompense ou une sanction. Mais le manque évident de cette réforme, c’est la question des moyens : comment faire en sorte que plus d’emplois soient disponibles ?

Quelles pistes de solutions proposez-vous ?

L’État peut intervenir sur le nombre de postes disponibles de plusieurs manières. En tant qu’employeur, avec la régie publique, par exemple, qui n’emploie pour l’instant que 1 000 détenus, il pourrait décider de créer lui-même des ateliers. L’État pourrait ensuite agir sur les concessionnaires, les entreprises privées, en offrant des exonérations encore plus élevées que celles qui existent, voire des subventions. Le deuxième grand volet, c’est la qualité des emplois. À 90 %, les quelque 20 000 postes proposés en prison sont des travaux manuels très peu qualifiés et qualifiants. C’est du pliage, de l’emballage, des choses très simples, répétitives, pas très agréables au quotidien et peu utiles sur le marché de l’emploi à l’extérieur. En conséquence, une réflexion est à mener sur la qualité des emplois pour que ce travail pénitentiaire soit un temps utile afin de préparer l’insertion sur le marché de l’emploi. Certaines initiatives locales sont intéressantes, comme Code Phenix ou des boulangeries qui s’ouvrent dans certaines prisons, et qui émanent de la bonne volonté d’associations ou de chefs d’établissement. Mais à l’échelle des près de 180 établissements pénitentiaires français, cela reste très marginal…

Auteur

  • N. T.