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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 11.04.2022 | Jean Pralong

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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong

De l’autre côté de l’algorithme

La digitalisation du recrutement est souvent présentée comme une solution au chômage. L’asymétrie d’information entre les candidats et les recruteurs serait une cause majeure de l’inefficacité du marché du travail ; la gratuité et l’accessibilité d’Internet permettraient de réduire cette asymétrie en regroupant et en augmentant les informations diffusées. Les recours à des applications pour trier les profils permettraient de réduire les biais et la subjectivité du recruteur. Il ne s’agit plus d’être choisi par un recruteur, mais d’être trouvé par des algorithmes, parfois après que d’autres algorithmes ont lu, interprété et classé le profil déposé sur un site. Les relations entre candidats et recruteurs sont coordonnées par des applications et des plateformes. L’utilisation pertinente des plateformes qui collectent les profils est donc centrale pour comprendre l’accès à l’emploi. Les plus jeunes, supposés les plus efficaces avec la technologie, bénéficieraient en premier lieu de ces nouvelles opportunités. Est-ce vraiment le cas ?

Grâce à un questionnaire en ligne, nous avons étudié les parcours d’insertion de 255 jeunes diplômés. Les diplômes ont été choisis pour refléter une tension formation-emploi moyenne : il ne s’agit donc ni d’emplois qui manqueraient de candidats, ni d’emplois trop rares au regard des candidats disponibles. Nous avons recueilli leur position par rapport à l’emploi (le nombre de mois qui a séparé leur sortie d’études de leur accès à un CDI), leurs pratiques de recherche d’emploi (efficaces, comme adapter son CV à chaque candidature, ou inefficaces, comme utiliser un modèle de CV unique), et la rationalité qu’ils mobilisent pour penser le marché du travail et les pratiques des recruteurs : approche irrationnelle (« accéder à un emploi est une affaire de chance ou de malchance ») et une approche rationnelle (« c’est facile de comprendre les règles du marché du travail »).

Résultat ? Ceux qui sont restés le moins longtemps au chômage ont mobilisé des pratiques efficaces. Ces pratiques sont liées à leur compréhension du marché du travail : ils pensent qu’il est fait de règles rationnelles, qu’il est donc possible de comprendre et d’appliquer. Au contraire, ceux dont les temps d’insertion ont été supérieurs à neuf mois ont utilisé des pratiques inefficaces : à la source de ces pratiques, la croyance que le recrutement est fait de pratiques irrationnelles, qu’il n’est pas compréhensible selon des relations de cause à effet et qu’il dépend de la chance. Ces jeunes ne sont pas une catégorie marginale : ils représentent près du tiers de l’échantillon. En synthèse, forcément simplifiée : un tiers des jeunes diplômés ne comprennent pas la digitalisation du recrutement, l’assimilent à une boîte noire inaccessible à une logique rationnelle et, finalement, n’ont pas d’autre ressource que la pensée magique ou les sorts pour penser leur accès à l’emploi. Et ce constat est sans doute généralisable à l’ensemble des actifs… À qui, donc, profite la digitalisation du recrutement ? Manifestement pas à tous les candidats. Pas plus aux entreprises, qui ne trouvent pas les candidats qu’ils cherchent. La digitalisation n’est pas spontanée. En faire la pédagogie est un enjeu partagé.

Tous ne sont pas du bon côté de l’algorithme.

Auteur

  • Jean Pralong