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Compétences : Prochaine étape pour la VAE : faciliter l’accès aux salariés

Le point sur | publié le : 04.04.2022 | Dominique Perez

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Compétences : Prochaine étape pour la VAE : faciliter l’accès aux salariés

Crédit photo Dominique Perez

Le dispositif, inscrit dans la loi de modernisation sociale de 2002, ne serait pas suffisamment utilisé à l’heure actuelle, du fait de sa complexité. Sur fond de pénurie de compétences, la validation des acquis de l’expérience va-t-elle trouver un nouveau souffle ? Au-delà des demandeurs d’emploi, elle devrait en tout cas davantage impliquer les salariés et les entreprises, selon les experts. Vingt ans après ses débuts, c’est donc une remise à plat et un redéploiement qui devraient avoir lieu.

Ludovic Brun est responsable des ressources humaines dans une société de restauration. Sans diplôme dans le domaine, car il travaillait précédemment dans la production cinématographique, il s’est inscrit en 2020 dans un parcours de validation des acquis de l’expérience (VAE) pour obtenir le titre de chargé de ressources humaines, de niveau bac + 4, proposé par l’IGS à Paris, après quatre ans dans la fonction.

« J’ai effectué la démarche en “profitant” de la période de confinement et de l’activité partielle, ce qui m’a donné le temps. Ce diplôme correspondait quasiment à 100 % à mon expérience », dit-il. Au cours d’un exercice exigeant, qui s’étale sur environ six mois, il met sur le papier l’ensemble de ses tâches dans un dossier de 150 pages (le fameux Livret 2, détaillant les expériences pour les mettre en relation avec les référentiels des diplômes, NDLR) et « quasiment autant d’annexes », ajoute-t-il. Un travail extrêmement prenant, mais accompagné par l’organisme de formation. Et il obtient la validation totale de son expérience et le titre !

Karima Ait Amer, elle, s’apprête à créer sa propre activité en indépendante dans le secteur de l’aide à domicile. Avant janvier 2022, sans aucune qualification, elle n’aurait eu aucune chance ni aucun droit légal de réaliser ce projet, qui nécessitait une certification en bonne et due forme. Alors demandeuse d’emploi, mais expérimentée, elle reçoit une proposition de Pôle emploi pour effectuer une VAE afin d’obtenir le diplôme d’assistante éducative et sociale (AES) dans le cadre de l’expérimentation Reva (lire ci-après). Un titre qu’elle obtient intégralement en trois mois. Elle bénéficie de formations en parallèle, en apprenant notamment à utiliser le numérique. « Cela m’a beaucoup apporté ainsi qu’à mes collègues, nous avons été très bien accompagnées. Je ne connaissais pas la VAE avant. Un de mes employeurs m’avait proposé de passer un diplôme, mais je n’avais pas le temps et cela me paraissait compliqué », relève-t-elle.

Deux parcours différents et deux démarches illustrant la diversité des candidats à la VAE, qui aurait permis, depuis sa création, le 17 janvier 2002, à plus de 360 000 personnes de valider un diplôme ou un titre.

Bilan mitigé

Insuffisant, selon Élisabeth Borne, ministre du Travail, qui, à l’occasion des 20 ans du dispositif, a présenté les premiers axes d’une réforme en préparation, qui vise à en favoriser l’accès et à en faciliter le déroulement et le financement. Parmi les arguments : une baisse constante du nombre de validations, qui seraient passées de 27 000 en 2010 à 18 000 en 2020. Le congé VAE, d’une durée de 24 heures, prévu pour la préparation du dossier, semble ainsi bien court, et l’investissement personnel décourage nombre de candidats, face à l’ampleur de la tâche. Réformée une première fois en octobre 2017 (avec notamment une durée d’activité professionnelle requise passée de trois ans à un an minimum et une reconnaissance des activités non salariées), la VAE sera sans doute amenée à vivre une révolution plus profonde dans les années à venir – en fonction cependant des résultats des élections présidentielles.

Avant un projet de réforme, qui, dans l’esprit du gouvernement, devrait être sur la table du ou de la futur(e) ministre du Travail, une première expérimentation a été menée à partir d’octobre 2021 avec 146 personnes, majoritairement des demandeurs d’emploi, sous le patronage de Carine Seiler, Haute-commissaire aux compétences. À la manœuvre notamment, Olivier Gérard, ex-directeur territorial Île-de-France de l’Opco EP (Entreprises de proximité), chef de projet Reva au sein de la « start-up d’État » Beta.gouv, qui porte le projet. « Après un rapport de l’Igas, en 2016, qui pointait déjà les dysfonctionnements du dispositif, rien n’avait été engagé pour le réformer en profondeur », constate-t-il. Il y a deux ans, le rapport Rivoire1 (lire l’entretien ci-après), rendu public seulement en janvier 2022, a lancé des hypothèses de travail pour simplifier et mieux accompagner le dispositif, sur lesquelles s’est basée cette expérimentation.

« La volonté était d’y engager le maximum de certificateurs, d’abord publics, en matière de jury, de parcours, d’accompagnement », précise-t-il. Aller plus vite, en réduisant des délais d’obtention qui peuvent parfois dépasser une année, et qui ont été réduits à environ quatre mois, a supposé de se pencher sur chaque étape du processus, de celle de la recevabilité du dossier à la constitution de jurys plus agiles, et plus fréquemment mobilisables.

Premier domaine choisi : celui des métiers du grand âge, en forte pénurie de compétences, notamment sur des premiers niveaux de qualification, assistant de vie sociale (AVS) et accompagnant éducatif et social (AES).

Grand absent

Cinq certificateurs : les ministères du Travail et de la Santé, le GIP (Groupement d’intérêt public) Occitanie-Croix-Rouge française, ainsi que la branche du particulier employeur s’engagent dans la démarche. Grand absent : le ministère de l’Éducation nationale, pourtant concerné au premier chef par cet enjeu, en tant que premier certificateur, et sans lequel une réforme pourra difficilement s’opérer. La question du financement est l’un des verrous principaux à lever : « Pour l’expérimentation, une seule ligne de financement, celle du PIC (plan d’investissement dans les compétences), a été mobilisée, explique Olivier Gérard. Pour la suite, il faudra sans doute sanctuariser une ligne dans le budget de la formation professionnelle pour financer les parcours, avec des logiques de cofinancement. Nous ne voulons plus que ce soit un obstacle, notamment pour les personnes non qualifiées. » Pour optimiser au maximum les chances de réussite, l’entrée dans le dispositif, qui est effectuée d’ordinaire à la suite d’un questionnaire, est modifiée. « Nous voulions vérifier que nous pouvions passer l’étape du fameux Cerfa, explique Olivier Gérard, qui déterminait si quelqu’un pouvait s’inscrire ou non, après parfois un long délai d’attente. » Chaque candidat, pré-identifié par Pôle emploi, est reçu en entretien. « Un expert du métier et/ou du référentiel du diplôme visé mesure et évalue l’expérience en se fondant d’abord sur le discours de la personne. Une fois l’inscription approuvée, on entre directement dans une démarche d’accompagnement », poursuit Olivier Gérard. Et « on peut supposer qu’un certain nombre de personnes s’autocensurent au moment d’entrer dans cette démarche, parce qu’elle est passablement administrative ou très longue, ajoute Noreddine Abidi, chargé de la coordination nationale de l’expérimentation pour l’Afpa. L’idée est de lever ces contraintes avec une recevabilité du dossier donnée en environ huit jours. » Passer d’une décision « sanction », qui intervenait à chaque étape du parcours, à un accompagnement au plus près des candidats pour augmenter leurs chances de validation, en associant des formations pour acquérir des compétences manquantes, est l’une des voies privilégiées. L’IFRSS (Institut régional de formation sanitaire et sociale Occitanie-Croix-Rouge française), qui a participé à l’expérimentation pour neuf personnes à Montpellier, notamment, vers une validation du titre professionnel accompagnant en gérontologie (de niveau 3) et six personnes avec le réseau des Greta (groupements d’établissements publics locaux d’enseignement), a ainsi organisé des stages parallèlement à l’accompagnement VAE pour « favoriser l’acquisition de connaissances de personnes à l’expérience plus fragile, précise Sophie Cazard, directrice de l’Institut. En temps ordinaire, les financements ne nous le permettent pas forcément. L’avantage de cette expérimentation a également été le partenariat avec Pôle emploi, qui s’est poursuivi pour les personnes n’ayant pas validé leur titre, mais qui ont reçu ensuite des propositions de formation. » Les résultats généraux de l’opération ont de quoi satisfaire le ministère du Travail : 86 % des candidats ont obtenu une validation totale (pour 62 % d’entre eux) ou partielle (pour le reste) « avec une durée moyenne de parcours de quatre mois, contre seize mois en moyenne dans les parcours de droit commun », se réjouissait Élisabeth Borne à l’occasion du bilan.

Démarche encadrée par les RH

Si cette expérimentation a porté très majoritairement sur les demandeurs d’emploi, une deuxième, qui a été dotée d’un budget de 15 millions d’euros, va concerner un public plus large, composé de salariés, d’aidants familiaux, de réfugiés…, avec l’objectif d’accompagner 3 000 personnes. Une démarche qui devrait cette fois impliquer des branches professionnelles, avec des enjeux particulièrement forts. Comment faciliter les parcours des salariés qui représentaient, en 2014, 70 % des candidats à la VAE, selon la Dares ? « Sans accompagnement des entreprises, point de salut », relève Sylvie Klapholz, présidente de la Fédération nationale professionnelle des acteurs privés de la VAE et dirigeante du cabinet VAE conseil, qui accompagne majoritairement des salariés de l’industrie – opérateurs de production, par exemple. « Ils obtiennent, par la VAE, des bacs professionnels, ajoute-t-elle, prérequis pour intégrer des BTS par la formation continue et évoluer sur des postes de techniciens. Nous intervenons également dans le cadre de PSE, pour proposer des VAE collectives. » En somme, « la démarche, pour aboutir, doit être encadrée par l’entreprise, les services RH et formation. C’est un élément indispensable. Quand il y a un enjeu d’évolution, le salarié est motivé et va au bout du processus », conclut Sylvie Klapholz.

Expérimenté sur une cohorte de demandeurs d’emploi, le nouveau parcours de VAE imaginé est-il et doit-il être transposable à l’ensemble des publics et des parcours ? La prudence est de mise, selon Sylvie Klapholz. « Il est vrai que le dispositif actuel n’est pas des plus simples, mais la démarche réflexive exigée sur ses compétences est très intéressante. Elle peut bien sûr être adaptée, mais sans sacrifier le niveau d’exigence. Il faut avant tout faire preuve d’innovation, en privilégiant des parcours hybrides, mixant phases de formation et de validation », explique-t-elle.

Réduire les difficultés d’accès sans simplifier à l’extrême le dispositif, c’est la volonté de nombre de professionnels, qui restent attentifs aux évolutions préconisées. L’IGS, engagé depuis la création du dispositif et qui a accompagné environ 500 personnes ayant validé un titre, « aurait certes pu espérer mieux, reconnaît Gilles Pouligny, directeur général adjoint en charge de la formation continue et des partenariats pour le groupe. Nous avons cependant anticipé les conclusions du rapport Rivoire, notamment en articulant la VAE avec différents formats et modes pédagogiques ». D’ailleurs, pour Catherine Azema, responsable de la VAE à l’IGS, la première raison du succès moindre du dispositif est avant tout « le manque d’information, pas le manque d’efficacité. Mais l’élément déterminant de la réussite est la phase de l’évaluation du candidat, qui doit permettre d’étudier au plus près le taux de couverture du référentiel déjà acquis par le candidat. Nous avons mis en place une ingénierie avec des outils de positionnement qui permet d’augmenter ses chances. Et une fois engagés, tous les candidats vont jusqu’au bout de la validation ».

Reste un écueil à surmonter : le financement de la démarche, nécessitant bien souvent, en plus de la mobilisation du CPF, une participation financière individuelle qui ne permet pas à tous de saisir leur chance. Sera-t-il possible, au-delà des expérimentations, de donner à tous les candidats les moyens d’accéder à la VAE ? La question reste posée, mais les entreprises et les branches seront prochainement confrontées à la question et probablement amenées à s’investir plus avant.

(1) De la VAE 2002 à la Reva 2020, rapport de mission réalisé par Claire Khecha, Yanic Soubien, David Rivoire.

Auteur

  • Dominique Perez