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Le grand entretien

« Lors des entretiens RH, certains managers confondent personnalité et comportement »

Le grand entretien | publié le : 04.04.2022 | Frédéric Brillet

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« Lors des entretiens RH, certains managers confondent personnalité et comportement »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans leur ouvrage, 10 entretiens RH incontournables, publié chez Gereso, Marie-Françoise Hosdain et Corinne Souissi explorent les arcanes de cet exercice si complexe qu’il justifie de s’y préparer sérieusement – qu’il s’agisse de recruter, d’intégrer, d’évaluer, de déléguer, de recadrer ou de gérer un départ…

Dans votre ouvrage, vous répertoriez dix types d’entretiens clés RH, de l’embauche au départ, qui ont cours dans l’entreprise. Quels sont ceux qui sont pratiqués systématiquement ?

Deux entretiens apparaissent incontournables pour les employeurs, quelle que soit la taille de l’entreprise. Réalisé par les RH ou les managers, l’entretien de recrutement, d’abord, nécessite une bonne préparation en amont pour la prise en compte du contexte et des besoins de l’entreprise, dans le respect du cadre légal et de la non-discrimination. Indispensable pour sélectionner les profils les plus adaptés, il a évolué récemment : avec la crise Covid-19, la pratique en visioconférence s’est beaucoup développée depuis 2020 et demande un ajustement en termes d’organisation, de démarrage et de posture de la part du recruteur. Inscrit dans le Code du travail depuis la réforme de la formation professionnelle de 2014 qui a instauré le CPF (compte personnel de formation), l’entretien professionnel constitue le deuxième passage obligé. Dans la majorité des cas, il est assuré par les managers pour des questions d’organisation et de temps. Les services RH sont donc en retrait, ce qui est dommage car cet exercice sert à échanger sur l’avenir professionnel de chaque collaborateur. Or les RH sont plus à même de les conduire, car ces experts ont une vision large des métiers, des évolutions ou des passerelles métiers envisageables et des dispositifs de formation qui sont parfois complexes à aborder pour le management.

À l’inverse, vous constatez que d’autres types d’entretiens RH sont négligés…

C’est le cas de l’entretien d’intégration car il ne rentre pas systématiquement dans un processus RH formalisé en interne. Il peut être réalisé de manière aléatoire et informelle par le manager, en fonction de son temps disponible et de la conscience de ses enjeux. Les conséquences de cette négligence sont importantes, car en ne mettant pas tous les moyens en œuvre pour faciliter la prise de poste, l’entreprise prend le risque que sa nouvelle recrue, frustrée ou désemparée, parte au milieu de sa période d’essai et donne ainsi une mauvaise image de l’employeur. Nous avons recueilli à cet égard nombre de témoignages de salariés sur les failles dans les processus d’intégration, notamment dans les TPE et PME : manque de préparation matérielle pour le jour d’arrivée, d’information des équipes en interne, de temps consacré au nouvel arrivant le premier jour… Autre type d’entretien peu pratiqué et qui est du ressort du manager, celui qui consiste à féliciter un collaborateur sur sa performance professionnelle quand celle-ci a eu un impact positif sur l’équipe ou l’entreprise. Cette démonstration de gratitude se justifie, notamment, à l’issue d’une mission particulièrement difficile qui a réussi. Elle peut aussi s’effectuer de manière plus informelle sur le moment, à l’occasion d’une réunion ou d’un pot avec l’équipe. Toutes ces formes de reconnaissance ne coûtent pas cher et rapportent gros. Elles valorisent le collaborateur concerné, saluent son implication, son travail et donc agissent sur sa motivation.

Vous abordez aussi l’entretien de départ, susceptible de libérer la parole du salarié, mais délicat à manier. Comment en faire un outil utile aux RH et aux managers, sachant que ces derniers peuvent être tentés de l’éluder par crainte des critiques ?

Cet entretien a pour finalité de comprendre les raisons d’un départ, sans le remettre en cause et dans un esprit d’amélioration continue. Le tout est de comprendre les raisons des départs et d’en tirer ou non des enseignements pour l’organisation et les recrutements futurs. C’est effectivement un entretien délicat qui doit être conduit systématiquement par les équipes RH pour libérer la parole. Celles-ci sont plus à même de prendre du recul, objectiver la situation et analyser les causes réelles et les dysfonctionnements au niveau humain et/ou organisationnel. Les remontées des entretiens de départ permettent alors de trouver des remèdes : dans une entreprise de distribution, un responsable RH nous avait ainsi raconté qu’après avoir débriefé trois contrôleurs de gestion qui s’étaient succédé rapidement sur le même poste, il avait fini par proposer à leur N+ 1 un 360° et un coaching pour qu’il évolue dans son mode de management. Bien sûr, un point peut être fait par le manager, mais tout dépend de la qualité de ses relations avec le salarié. Le risque peut être de rajouter des tensions, des malentendus et de renforcer la mauvaise expérience du collaborateur. Mais quand ce dernier est performant, il arrive que le manager tente, lors de l’entretien de départ, de le retenir en lui proposant in extremis une augmentation. Cette proposition s’avère négative à court ou moyen terme car elle peut engendrer un sentiment d’injustice au sein de l’équipe. Et quand bien même le salarié accepte de rester, cela ne suffit pas à le remotiver, car il y a d’autres éléments sous-jacents qui ne sont pas réglés. On quitte rarement un poste uniquement pour une question de salaire insuffisant…

Dans certaines entreprises, les managers et les salariés vivent également les entretiens annuels d’évaluation comme des exercices formels où l’on ne dit pas les choses, voire on les considère comme une perte de temps. Qu’est-ce qui conduit à cette perception ? Et comment y remédier ?

Effectivement, les directions et les managers ne sont pas toujours convaincus de l’intérêt de l’exercice. Trop souvent, cela leur rappelle la notation scolaire et ils redoutent les biais de subjectivité qui peuvent conduire à des jugements hâtifs. La partie la plus délicate à évaluer relève des savoir-être. Certains managers confondent personnalité et comportement. C’est une erreur car une remontrance en situation professionnelle doit se limiter à des faits, des actions observables et objectivables. À l’inverse, en émettant un jugement général sur la personnalité d’un collaborateur, le manager s’expose à un retour négatif car le salarié concerné, s’il l’accepte, va se persuader qu’il ne pourra pas changer de caractère… Et il sera alors très difficile de le convaincre de s’inscrire dans une voie de progrès. Pour éviter ces écueils, les DRH doivent mieux former les managers aux entretiens. Lors de nos interventions, nous commençons souvent par les faire réfléchir sur ce que cela peut leur apporter : faire un point d’étape avec leur équipe, dire ce qui va ou pas avec objectivité, valoriser ce qui va bien et identifier des actions à mettre en œuvre pour avoir des équipes compétentes et motivées. Et fixer un cap pour l’année à venir à travers des objectifs.

Y a-t-il des profils d’entreprise ou des secteurs où les entretiens d’évaluation fonctionnent plus ou moins bien ?

La perception de l’entretien d’évaluation dépend en grande partie de la culture de l’entreprise, de la politique RH, du climat social et du mode de management. Nous constatons que cela fonctionne mieux dans les structures ou le management est de type participatif et où le sens de l’humain et l’autonomie sont favorisés. Nous intervenons par exemple pour l’association Arpavie, groupe du secteur médico-social où le dispositif mis en place facilite l’objectivation des évaluations. En effet, chaque salarié a la possibilité de s’auto-évaluer en amont de l’entretien et de transmettre les éléments au manager qui peut ensuite mieux préparer l’entretien et avoir un dialogue constructif lors de la rencontre. Il existe malheureusement beaucoup de mauvaises pratiques. À l’inverse, nous avons eu connaissance d’un groupe média où seulement la moitié des entretiens étaient réalisés et où les comptes rendus s’entassaient dans les tiroirs des managers qui ne savaient pas quoi en faire !

Que peut faire la DRH pour assurer la qualité des entretiens ?

La DRH doit piloter l’ensemble des processus, en accompagnant, conseillant et formant tous les acteurs. Sa responsabilité est de mettre à disposition des managers et des collaborateurs des outils de préparation et de conduite, particulièrement pour l’entretien professionnel, de mobilité interne ou d’évaluation. En aval, il s’agit d’exploiter ces entretiens et de mener les actions nécessaires pour répondre aux demandes qui sont faites afin d’être crédible et efficace. Pour assurer la qualité de ces processus, de plus en plus de DRH proposent aux salariés des ateliers ou des formations sur le sujet. L’entretien étant avant tout un espace d’expression, cela les incite à s’y investir et en retour, cela pousse les managers à prendre au sérieux l’exercice.

Les auteures

Marie-Françoise Hosdain est diplômée en psychologie du travail, en ressources humaines et en coaching. Consultante et formatrice, elle accompagne individuellement et collectivement des managers et des équipes RH.

Corinne Souissi est maîtresse praticienne en PNL, diplômée en management des ressources humaines et coaching. Consultante et formatrice, elle accompagne des décideurs et des collaborateurs dans l’optimisation de leurs compétences et pratiques professionnelles.

Auteur

  • Frédéric Brillet