logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Tendances

RSE : Une transition énergétique à marche forcée

Tendances | publié le : 28.03.2022 | Natasha Laporte

Image

RSE : Une transition énergétique à marche forcée

Crédit photo Natasha Laporte

Face à la flambée des prix de l’énergie, renforcée par le conflit russo-ukrainien, les factures s’envolent, au point que certaines entreprises, très consommatrices de gaz naturel, notamment, doivent ralentir leurs activités. Chimie, agroalimentaire, papier, transport… nombre de secteurs d’activité sont affectés. Une situation qui pourrait inciter à accélérer les efforts pour une meilleure efficacité énergétique et une décarbonation. Reste que certains acteurs sont contraints d’adapter leur feuille de route. Tour d’horizon.

Dès le 9 mars dernier, le fabricant norvégien d’engrais azotés Yara a été l’une des premières entreprises européennes à annoncer le coup de frein, en rendant publique sa décision de réduire temporairement – à 45 % des capacités – la production d’ammoniac et d’urée dans ses deux usines, au Havre et à Ferrera (Italie). En cause : l’envolée du prix du gaz naturel, liée à la guerre en Ukraine. Elle n’est pas la seule à subir cette nouvelle crise de plein fouet. En France, la Jurassienne de céramique française, propriété du groupe Kramer, s’est ainsi elle aussi résignée à mettre en sommeil son activité industrielle face à une facture de gaz naturel multipliée par dix. Et bien d’autres acteurs économiques – du transport au BTP en passant par diverses industries – s’inquiètent de l’impact potentiel de la hausse vertigineuse des prix des hydrocarbures et de l’énergie. « Cela fait maintenant près de huit mois que la facture énergétique explose. Il y a trois ans, le prix de gros de l’électricité et du gaz était historiquement bas et aujourd’hui, les niveaux sont incroyables : le prix de marché de gros du gaz a été multiplié par huit, le pétrole a plus que doublé et le charbon lui-même a augmenté », rappelle Frédéric Coirier, coprésident du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti), qui regroupe 5 400 sociétés, dont 40 % sont actives dans l’industrie. Et la pression ne cesse de monter. Selon les récentes enquêtes du Meti, 90 % des ETI indiquent que le sujet énergétique représente un problème et 60 % se disent même très touchées, précise ce responsable. En particulier, les secteurs comme l’agroalimentaire, le papier, l’industrie du bois, la chimie… accusent le coup. « Les gros consommateurs d’énergie sont très affectés ; ceux qui utilisent des matières premières comme l’acier ou l’aluminium le sont aussi », ajoute-t-il. Et toutes ces entreprises n’ont pas la capacité de répercuter ces surcoûts. Conséquence, « il y a des tensions sur les approvisionnements, mais aussi sur les trésoreries et les marges. Si l’impact à très court terme n’est pas pour l’instant très significatif, l’inquiétude et une certaine fébrilité de la part d’un certain nombre de chefs d’entreprise sont palpables », analyse ce responsable. « Les prix ont énormément augmenté dans le dernier trimestre 2021 et malheureusement, la crise ukrainienne ne fait qu’empirer la situation », abonde Philippe Contet, directeur général de la Fédération des industries mécaniques (FIM), qui réunit plus de 10 000 entreprises, en grande partie des PME, fournisseuses d’équipement de production, de composants et de pièces mécaniques pour des marchés variés, dont le BTP, l’agroalimentaire, l’automobile, l’aéronautique… « Les centrales nucléaires produisent certes le gros de l’énergie au quotidien, mais quand il faut compléter, car elles ne sont pas suffisantes, les fournisseurs doivent faire appel à des centrales à gaz, ce qui fait que les prix de l’électricité s’envolent », détaille-t-il. Et d’avertir : « Nous sommes très touchés », certains plus que d’autres, le tissu des entreprises mécaniques étant très diversifié. En particulier, « celles qui font appel à l’électricité en forte quantité, par exemple les forges, les fonderies et les traitements thermiques. Mais quelle que soit l’activité, toutes ont vu leurs factures s’envoler ».

Face à cette nouvelle donne, comment réagir, puisqu’une telle situation pourrait avoir des conséquences sur les activités et l’emploi ?

Effet incitateur

Depuis que la hausse frappe les PME mécaniciennes, la FIM planche sur différentes pistes, parmi lesquelles encourager les petites entreprises à envisager des contrats d’achat d’électricité et donc des engagements de prix sur plusieurs années, mais aussi mieux connaître leur profil de consommation pour éviter d’avoir recours à de l’énergie au moment où elle est la plus onéreuse. De même, la fédération mise sur l’investissement dans l’efficacité énergétique, autrement dit, dans des machines moins énergivores et dans l’utilisation optimale des bâtiments, « afin de réduire à court terme la facture d’électricité, et à moyen terme, l’empreinte carbone », indique Philippe Contet. Autre levier, les moyens de production d’électricité renouvelable sur les sites industriels eux-mêmes, pour faire de l’autoproduction et de l’autoconsommation. « Nous avons le droit, désormais, de produire de l’électricité avec des panneaux photovoltaïques sur le toit d’une usine et d’utiliser cette électricité pour faire tourner les machines en interne. L’obligation réglementaire demeure d’être connecté au réseau d’Enedis ou d’EDF, de manière que lorsque les panneaux produisent plus que nécessaire pour l’usine, nous réinjections l’énergie produite dans le réseau », poursuit Philippe Contet. Le dirigeant de la FIM insiste : « Cela fait longtemps que les industriels mécaniciens agissent pour la décarbonation, d’autant que lorsqu’ils mettent sur le marché des produits moins énergivores, ils contribuent au verdissement de l’ensemble de l’industrie, voire au-delà. » Un mouvement que la crise énergétique pourrait bien encore accélérer, même si, au-delà de la RSE et de la lutte contre le dérèglement climatique, « le prix de l’électricité est une motivation forte… », conclut-il.

Echo similaire du côté du Meti. Frédéric Coirier estime ainsi, lui aussi, que « la situation énergétique actuelle est un puissant incitateur à faire des investissements sur l’efficacité énergétique et le renouvelable ». Même si « la prise de conscience au sein des ETI sur le sujet de la RSE était déjà présente », affirme-t-il. Ainsi, dans le cadre du plan de relance, environ 180 projets ont été présentés par des ETI portant des ambitions de décarbonation. Exemple, « dans le secteur verrier, où des fours étaient alimentés pas des énergies fossiles, les industriels passent à des fours électriques. Beaucoup de secteurs bougent », déclare-t-il.

Reste que la mue pourrait prendre quelques années…

Gagner en souveraineté

Mais Frédéric Coirier en est convaincu : « C’est une nécessité économique absolue de progresser en matière d’efficacité énergétique, de changer les équipements et adopter les énergies renouvelables, seule solution pour faire baisser la facture, sécuriser les approvisionnements et gagner en souveraineté. » En outre, c’est l’image des organisations qui est en jeu. « Les entreprises qui auront une politique RSE et énergétique avancée auront certainement davantage les faveurs des clients et des consommateurs », juge ainsi Frédéric Coirier. Comme des salariés, d’ailleurs, puisque la crise Covid-19 n’a fait que renforcer leur quête de sens au travail.

C’est ce qu’il constate au sein du groupe Poujoulat, spécialisé dans les conduits de cheminées et le bois de chauffage, dont il est le PDG. « Nous avons lancé un projet, très fédérateur, sur la durabilité et la RSE, appelée Relation positive. Les salariés s’y inscrivent complètement et sont contributeurs d’idées d’améliorations », relève-t-il. Son entreprise, basée à Niort (Deux-Sèvres), est d’ores et déjà « décarbonée à 80 % », assure-t-il. Centrale photovoltaïque, éclairage LED, isolation des bâtiments… sont autant d’actions récemment mises en œuvre par la société pour accélérer la transition. « À la différence d’il y a dix ans, lorsque ces investissements étaient une conviction plutôt qu’une action économique, aujourd’hui, ils sont rentables et s’amortissent vite », assure-t-il. D’autres entreprises l’ont bien compris et se mettent, elles aussi, en ordre de marche pour réduire leur facture énergétique, en investissant dans les économies d’énergie, à l’instar de la Laiterie Le Gall, à Quimper, une société du groupe Sill. Elle a ainsi officialisé, ces dernières semaines, le lancement d’un projet de récupération de chaleur avec, à la clé, une diminution escomptée de 162 tonnes de ses émissions de CO2 – ainsi qu’une économie de 27 000 euros par an.

Virage dans le transport

Dans un tout autre secteur, celui du transport et de la logistique, la transition énergétique se heurte cependant à des difficultés, parfois inattendues… « Nous avions choisi d’engager notre transition et la décarbonation de nos activités en misant sur la seule technologie aujourd’hui mature pour le transport des matières lourdes, le gaz naturel ou le biogaz. D’autant qu’il existe déjà des véhicules dans les catalogues des constructeurs ainsi qu’un réseau de ravitaillement de gaz grandissant », témoigne Cédric Frachet, chief operating officer du groupe Heppner. L’ETI, forte de quelque 3 200 collaborateurs, avait même mis en place un programme d’aide à la conversion pour ses partenaires et ses sous-traitants… Mais avec l’explosion des cours du gaz naturel, cette transition est sérieusement mise à mal. « Les plus petits acteurs ne peuvent pas faire face à la flambée des prix. Tous ceux qui avaient l’intention d’investir dans des éléments décarbonés, que ce soit de véhicules gaz ou autre, mettent le pied sur le frein… », confie-t-il.

Résultat, au sein du groupe Heppner, l’heure est à de nouvelles réflexions. « Nous avons relancé des ateliers et recréé des groupes d’idéation pour se remettre autour de la table et repenser notre système », indique Cédric Frachet. Faute de gaz, d’autres programmes de veille existants pourraient ainsi se renforcer chez ce transporteur : véhicules électriques comme ceux déjà expérimentés à Strasbourg, vélos cargo, biocarburants et carburants synthétiques… Tout comme quelques économies d’énergie grâce à la formation à l’écoconduite, ou celles qui restent à réaliser au niveau des bâtiments. Le groupe a d’ores et déjà cartographié ses bâtiments et leur consommation, en collaboration avec la start-up Deepki, qui accompagne la transition énergétique de l’immobilier grâce à l’intelligence des données. Car avec la crise énergétique qui rebat les cartes, c’est aussi une nouvelle fenêtre d’opportunités qui s’ouvre pour l’écosystème des start-up développant des solutions innovantes. Et certaines, comme MyLight Systems, pionnier de l’autoconsommation solaire et concepteur d’une batterie virtuelle, notent depuis quelque temps un intérêt croissant des entreprises pour leurs solutions. Un nouveau champ des possibles qui reste à explorer…

Auteur

  • Natasha Laporte