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Entretien : « Des incitatifs salariaux peuvent être un levier dans la transition énergétique »

Tendances | publié le : 28.03.2022 | Natasha Laporte

Michel Lepetit, vice-président du groupe de réflexion The Shift Project, par ailleurs ancien cadre dirigeant du secteur bancaire et historien en économie de l’énergie, rappelle les effets du choc pétrolier des années 70 et dresse la liste des défis induits par l’actuelle crise énergétique. Sans oublier la transition écologique, indispensable.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a récemment comparé l’actuelle crise énergétique au choc pétrolier de 1973. Quelles conséquences celui-ci a-t-il eues sur l’économie à l’époque ?

La période des Trente glorieuses était celle d’une croissance forte, mais aussi d’une dépendance accrue au pétrole. Il était abondant, son prix était faible et il était utilisé partout. Une société du plastique se développait. Puis, à la fin des années 70, s’est produit un retournement très clair, avant même le choc pétrolier de 1973. Certains ont pris conscience que le temps du pétrole abondant était révolu et que la dépendance vis-à-vis du Golfe arabo-persique, où se trouvaient les nouvelles réserves dont l’Occident avait besoin, ne pouvait que s’accentuer. Et bien sûr, ces producteurs ont exercé leur pouvoir… Autant dire que les économies ont subi le choc pétrolier de 1973 sans y être préparées. Et aucun secteur d’activité économique n’a été épargné.

Quelles mesures avaient-elles été prises à l’époque ?

En France, des mesures d’adaptation et de rationnement, mais moins drastiques que dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, par exemple, les usines s’arrêtaient même de tourner un jour par semaine, à tour de rôle ! Toujours est-il que partout, l’objectif a été de diminuer la consommation et de devenir plus sobre – mot qui n’avait jamais été employé auparavant ! Faire des économies d’énergie est devenu d’un coup une nécessité économique, d’autant qu’à l’époque, les salaires, indexés sur l’inflation, suivaient. Le choc a été si violent que nombre d’entreprises, incapables de s’adapter à la nouvelle donne, ont déposé le bilan. Des mesures d’urgence, mais aussi à plus long terme, ont toutefois fait basculer certains secteurs dans un monde différent : celui de l’automobile a ainsi conçu des véhicules plus petits et moins gourmands en carburant.

Pour autant, la réduction de la consommation énergétique n’a pas duré…

Non, et avec un chômage en hausse et des entreprises en faillite, l’environnement est apparu comme secondaire… Je crains en outre que cela arrive à nouveau et que la lutte contre le dérèglement climatique soit reléguée au second plan, d’autant que certains envisagent de remplacer le gaz russe par du charbon… La tentation est grande, notamment dans le pays d’Europe de l’Est et en Allemagne.

La crise actuelle pourrait-elle néanmoins être un accélérateur de la transition énergétique ?

Oui, et je pense d’ailleurs que la France prend de bonnes décisions pour être plus autonome et plus souveraine, avec des énergies bas carbone comme le nucléaire. Mais encore faudrait-il qu’il y ait une vraie vision, un État stratège… Si l’on s’en tient à l’exemple du Covid-19, cette crise n’a pas franchement débouché sur les bonnes questions, en ce qui concerne la mobilité, notamment. Celles sur l’énergie sont d’autant plus cruciales que ce n’est pas un bien comme les autres : sans charbon ni pétrole, il n’y a pas plus rien. Sans électricité, il n’y a même plus d’Internet… Aujourd’hui, face aux prix énergétiques qui flambent, certaines entreprises, en Europe, ferment ou suspendent leur activité, tels des producteurs d’engrais ou des sidérurgistes. C’est donc la survie de plusieurs activités économiques qui est en jeu. Toute la question est de savoir comment les États vont accompagner les entreprises pour faire la transition sous la contrainte, même si mieux aurait valu l’opérer dans le calme…

Quel rôle les salariés peuvent-ils jouer dans la transition écologique ?

Les salariés ont envie d’avoir du sens dans leur travail. Ils voudront travailler pour une entreprise qui ne fait pas de green washing, mais qui a réellement de l’impact. Par ailleurs, des incitatifs salariaux peuvent également être un levier dans cette transition. C’est le cas au niveau des cadres dirigeants, mais aussi pour les collaborateurs, notamment dans les grandes entreprises, dotées de dispositifs de participations et d’intéressement. Mettre en place des outils et des indicateurs, dans le cadre d’une politique RSE, motiverait beaucoup ceux qui ont envie de savoir quel est l’impact réel d’un projet de décarbonation. De plus en plus, le discours des entreprises dans ce domaine est décrypté. Au-delà des salariés, tant les investisseurs que les autorités réglementaires et la puissance publique veillent.

Auteur

  • Natasha Laporte