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La nostalgie de l’entreprise

Chroniques | publié le : 28.03.2022 |

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La nostalgie de l’entreprise

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Martin Richer Management & RSE

Nous nous passons fort bien de la manufacture (grâce à notre imprimante 3D), de notre agence de voyages (grâce au e-commerce), des entreprises d’hôtellerie (grâce à Airbnb), des fabricants de voitures (grâce à l’autopartage). La notion même d’entreprise va-t-elle résister ? Devons-nous déjà ressentir une certaine nostalgie ? Historiquement, l’entreprise a fondé sa légitimité sur trois piliers, tous attaqués aujourd’hui par la déferlante numérique.

La rencontre entre offre et demande de travail. C’était la justification de l’entreprise depuis ses origines. Mais l’entreprise est une machine à expulser le travail, par le biais des externalisations successives, des délocalisations, des restructurations. Elle se défait de ses actifs pour variabiliser les coûts, comme en témoigne le recours qui s’étend à des contractuels en remplacement des salariés.

Les entreprises s’appuient sur les réseaux sociaux et leur extranet pour connecter et déployer les personnes, pour reconfigurer les chaînes de valeur en fonction des opportunités commerciales, pour recomposer en permanence les collectifs de travail, projet par projet. Déjà fissurée par le télétravail, l’unité organisationnelle (de temps, de lieu et d’action) qu’est l’entreprise éclate vers un modèle d’organisation distribuée, dont le cœur est le réseau.

La réduction des coûts de transaction. Selon l’économiste Ronald Coase (prix Nobel en 1991), c’est la raison d’être de l’entreprise, car il est souvent plus rentable d’internaliser une activité que d’en acheter le produit sur le marché. Mais avec le déploiement du numérique, le coût des transactions liées aux échanges est largement supérieur à l’intérieur de l’entreprise, du fait des silos organisationnels et des barrières hiérarchiques que la technologie n’a pas abolis. À l’inverse, les échanges externes sont facilités par la fluidité croissante des transactions permise par les réseaux.

La technologie mise à part, cette transformation du travail rappelle l’époque préindustrielle, lorsque les journaliers (les « tâcherons »), durement payés à la pièce, n’avaient pas encore découvert les joies insondables du contrat de travail. L’entreprise n’a pas toujours existé. Entre l’échoppe de l’artisan du Moyen Âge et l’atelier du maker (FabLab) d’aujourd’hui, sera-t-elle une simple parenthèse historique ?

La troisième justification de l’entreprise, comme l’ont montré les travaux de Peter Senge (auteur de « The Fifth Discipline », 1990), est d’apporter un cadre permettant aux salariés de développer leurs compétences. Mais la façon dont il définit l’organisation apprenante n’exige en rien que ce lieu soit organisé par l’entreprise centralisée. Avec notre CPF et le développement du online-learning, de l’autoformation, du social learning (formation entre pairs en faveur d’un partage organique du savoir), des communautés métiers et autres collectifs apprenants, avons-nous encore besoin de l’entreprise pour cela ? Les travailleurs les plus qualifiés se vendent sans difficulté aux plus offrants (et préfèrent l’indépendance au salariat) alors qu’un « lumpenprolétariat numérique » est livré aux tâches répétitives (recours éventuel à des enchères inversées) distribuées à l’échelle mondiale au moindre coût par des plateformes de services.

Paradoxalement, ces trois menaces sont une chance pour la fonction RH. Pour résister à la désintermédiation, les entreprises devront procurer à leurs collaborateurs beaucoup plus d’autonomie, d’apprentissage permanent, de possibilités de réalisation de soi, de plaisir au travail, de valeurs compatibles avec leurs convictions et leurs aspirations. La refondation de l’entreprise 2.0 doit commencer au plus tôt. Elle se construit autour des cinq R : elle sera résiliente, réticulaire, relationnelle, réflexive et responsable.