Dans « Travailler moins pour vivre mieux », la philosophe Céline Marty appelle à se libérer de la « centralité » du travail. Elle y prône une forme de sobriété face à l’urgence climatique et sociale.
Dans notre société, travailler est devenu une injonction politique et économique. Pas de place pour penser autrement : « questionner la place du travail dans nos vies et notre organisation sociale est tabou », assure Céline Marty. Mais pour sauver la planète et réduire les inégalités sociales, nous avons besoin « d’une remise en question radicale de notre idéologie », soutient-elle. Travailler pour consommer n’est plus tenable. Dans cet essai critique – à la lisière entre philosophie, sociologie et politique –, cette philosophe s’inspire des travaux d’André Gorz pour analyser les débats autour du travail. Faut-il chercher à en améliorer les conditions, le réduire ou en finir avec cette aliénation ? Pourquoi la protection sociale est-elle toujours reliée à un emploi stable, « qui devient plus difficile à obtenir » ? Aujourd’hui, « le travail dévore nos vies ». L’auteure interroge cette emprise de la productivité : « même réduire son temps de travail » doit se justifier auprès de sa hiérarchie « et servir à autre chose ». Nous cherchons à faire toujours plus, et même à « rentabiliser » notre temps libre.
Tous les emplois ne sont pas satisfaisants. Certains sont épuisants, d’autres polluent. Pourtant, sur le plan politique, la « valeur travail » reste obsessionnelle, constate la philosophe. D’un côté, le patronat la glorifie, de l’autre, les syndicats militent pour une baisse du temps ou l’amélioration des conditions de travail. Bien sûr, « réduire la charge de travail, protéger les travailleurs des risques psychosociaux et augmenter la rémunération satisfait déjà une partie de leurs attentes », mais le problème de fond subsiste : dans ces luttes, « la centralité idéologique du travail reste impensée ».
Est-il possible de se libérer du travail ? D’un « marché qui décide » du sort des salariés ? Céline Marty passe en revue les alternatives les plus démocratiques – des coopératives à l’idée de la sociologue Isabelle Ferreras, qui défend un droit de décisions égal entre salariés et actionnaires. Une initiative qu’elle juge « salutaire » pour mieux produire, mais avec des réserves : « il n’est pas évident d’exiger des travailleurs qu’ils s’engagent politiquement dans leur travail », dit-elle. Face à la crise climatique et sociale, l’auteure préfère la décroissance… « En produisant des biens et services de meilleure qualité, en consommant moins, nous pourrons en réalité travailler moins », assure-t-elle. L’ouvrage en expose les principes, jusqu’au financement. Plutôt que d’opposer partisans d’une garantie d’emploi et défenseurs du revenu universel (plus critiques sur le capitalisme), « envisageons leur cofonctionnement », propose la philosophe. Utopique ou non, ce livre plaira aux salariés désireux de changer de vie depuis la crise sanitaire.