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Les clés

Une autre histoire du temps de travail

Les clés | À lire | publié le : 28.02.2022 | Lydie Colders

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Une autre histoire du temps de travail

Crédit photo Lydie Colders

Et si, au fil des siècles, la baisse continue du temps de travail n’avait été qu’un trompe-l’œil ? Dans Les Rythmes du labeur, deux historiens montrent que la flexibilité a toujours existé, loin de la pensée industrielle. Une enquête passionnante.

Au cœur des luttes sociales, le temps de travail a fait l’objet de nombreuses études, en particulier depuis la révolution industrielle. Mais il faut se méfier « des illusions statistiques » attestant que la durée a baissé de façon « linéaire » au fil des siècles. La réalité « des labeurs » a été beaucoup plus complexe, selon Corine Maitte et Didier Terrier, historiens du travail. Pour le prouver, leur enquête minutieuse remonte le fil de six siècles d’histoire du temps de travail en Europe, du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle, en France, en Italie, en Angleterre… Avec des sources rares, des travailleurs payés par les Médicis aux livrets des manufactures ou des ouvriers miniers au XIXe siècle, ils nuancent ce récit : ainsi, si la journée de travail était proche de 14 heures au Moyen Âge, « le temps de travail effectif » aurait toujours été variable. Il aurait ainsi « oscillé entre 8 et 11 heures à Bruxelles ». À la fin du XVIIIe siècle, les ouvriers du bâtiment parisien auraient quant à eux œuvré de 8 à 10 heures par jour, notent-ils. L’histoire du temps de travail n’aurait pas été dictée uniquement « par la lumière du jour », le temps des horloges, ni l’électricité. D’ailleurs, les auteurs notent que, sur six siècles, le travail nocturne a toujours existé et n’a pas « explosé » avec la révolution industrielle.

Recherche « d’optimisation » précoce

De même, ils montrent que la recherche de productivité aurait été pensée bien avant Taylor, et dès le XVIIe siècle, évoquant ainsi les « calculs sur le rendement » de Vauban ou ceux des manufactures drapières. Au XIXe siècle, les débats autour des premières lois encadrant le temps de travail « seront intenses », et les horaires légaux largement contournés par les patrons, expliquent-ils, exemples à l’appui. Plus classique, les historiens pointent que la réduction lente vers la journée de 8 heures en 1919 aurait surtout été motivée, du côté patronal, par la volonté de préserver « la force » de la main-d’œuvre, ajoutée aux grandes luttes ouvrières en Angleterre ou en France. Mais, en dehors du monde de l’usine, le temps et les rythmes de travail « resteront chaotiques » et « les variations saisonnières fréquentes », y compris dans des entreprises de l’industrie et du commerce, au gré des commandes, soulignent-ils, citant des cas dans l’industrie lyonnaise. Il faudra attendre le XXe siècle pour « que l’on assiste à la réduction significative et durable des horaires de travail », mais rien ne dit qu’elle ait été générale, et surtout qu’elle n’ait pas « densifié les heures de labeur ». Critique sur le capitalisme, ce livre instructif résonne avec l’actualité, les historiens s’inquiétant du retour au « mot d’ordre » de la flexibilité.

Auteur

  • Lydie Colders