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Le point sur

« Les discriminations font peser un fardeau sur les entreprises et la société »

Le point sur | publié le : 28.02.2022 | Nathalie Tissot

Marie-Anne Valfort est économiste à la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE. Elle a coécrit Les discriminations au travail (2018), avec Stéphane Carcillo.

Quelles sont les avancées de la France en matière de lutte contre les discriminations ?

La France a brillé ces dernières années par des politiques ambitieuses pour accélérer la convergence vers l’égalité femmes-hommes sur le marché du travail. On peut ainsi citer l’allongement récent du congé paternité à 28 jours ou la création en 2019 de l’index d’égalité professionnelle, dont l’objectif est de rendre compte des déséquilibres entre les situations professionnelles des hommes et des femmes dans les entreprises de plus de 50 salariés. Il doit être rendu public, ce qui incite les entreprises à l’améliorer afin de maintenir leur réputation, sachant que, si elles ne font rien, les autorités peuvent leur imposer des sanctions. Cet outil innovant n’a pas réellement d’équivalent à l’étranger.

Mais il y a encore beaucoup à faire…

Oui, beaucoup reste à faire en matière de lutte contre les discriminations ethnoraciales – le mot « race » étant à comprendre en tant que construit social et non dans un sens biologique, puisque l’espèce humaine est composée d’individus génétiquement très proches. La situation des minorités ethnoraciales est très préoccupante. En 2019, l’Eurobaromètre, qui mesure la perception des discriminations dans l’Union européenne, a montré que les discriminations en fonction de la couleur de peau étaient considérées comme les plus fréquentes. C’est en France que cette perception était la plus forte. Près de huit Français sur dix affirmaient que ces discriminations étaient répandues contre six sur dix en moyenne dans l’UE.

Quel est le coût de ces discriminations pour l’économie ?

Pour les entreprises, le coût est évident. Si vous ne recrutez pas sur les compétences, vous passez à côté de talents. Et si vous ne traitez pas les employés issus de certaines minorités à égalité avec les autres, vous anéantissez leur engagement et vous vous privez des opportunités de développement que ces personnes auraient pu vous apporter si vous les aviez promues à des postes à la hauteur de leurs compétences. Le coût macroéconomique est lui aussi très significatif. France Stratégie l’avait évalué à 150 milliards d’euros en 2016. Les discriminations évincent les individus de l’emploi ou les cantonnent à des postes moins qualifiés que ceux qu’ils pourraient occuper. Ces mécanismes génèrent des pertes de production élevées qui grèvent à leur tour les finances publiques : les recettes fiscales diminuent, alors que les dépenses publiques augmentent en raison de l’indemnisation des personnes au chômage du fait des discriminations. Les discriminations font donc peser un très lourd fardeau sur les entreprises et la société. Elles ont aussi un coût social, car elles minent la cohésion nationale en poussant ou en contraignant certaines populations discriminées au repli identitaire.

Quelles mesures permettraient d’améliorer la lutte contre ces discriminations ?

Une première piste serait d’engager une réflexion sur la possibilité d’inclure, par exemple, dans les données administratives qui servent à calculer l’index d’égalité professionnelle, le pays de naissance des parents des individus. Cela permettrait de comparer les trajectoires non seulement des hommes et des femmes, mais aussi des salariés d’ascendance étrangère et des autres. À plus court terme, il semble essentiel de renforcer le contrôle des comportements de recrutement des employeurs, car les discriminations à l’embauche à l’encontre des candidats originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne sont très fortes en France. Des campagnes de testing ont été menées par le gouvernement, mais elles sont ponctuelles et ne peuvent donc se concentrer que sur les grandes entreprises, car ce sont les seules dont le volume d’offres d’emploi est suffisant sur la période d’étude. Il faudrait pouvoir procéder à ces testings en continu, afin d’étudier aussi le comportement de recrutement des ETI, PME et même TPE. Une manière d’y parvenir serait de créer une agence indépendante en charge de mener ces testings. Cette agence pourrait aussi aider les individus qui s’estiment discriminés à s’approprier l’arsenal juridique existant et à mieux maîtriser les moyens de preuve à leur disposition dans le cadre d’actions en justice. Elle pourrait enfin apporter son soutien aux employeurs qui font face à une obligation de formation à la non-discrimination en les aidant à identifier les formations réellement efficaces.

Auteur

  • Nathalie Tissot