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Les clés

Les dessous de l’ubérisation

Les clés | À lire | publié le : 21.02.2022 | Lydie Colders

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Les dessous de l’ubérisation

Crédit photo Lydie Colders

Dans son enquête Ubérisation, piège à cons, le journaliste Gurvan Kristanadjaja montre la précarité des travailleurs des plateformes, qui subissent les pratiques douteuses de cette économie du « clic ». Instructif.

Les premières élections de représentants de travailleurs des plateformes, en mai prochain, amélioreront-elles leurs droits ? Il est permis d’en douter en lisant cette enquête du journaliste de Libération, Gurvan Kristanadjaja. Pleine de témoignages, elle plonge dans le quotidien laborieux des chauffeurs d’Uber et des livreurs de Deliveroo et autres. Le journaliste rappelle la grande précarité des chauffeurs de VTC et des livreurs. Beaucoup seraient aussi sans papiers (37 %, selon une étude de chercheurs citée), via un système de location de comptes, une arnaque expliquée dans son livre. En 2014, la stratégie d’Uber ou de Deliveroo, en s’implantant en Seine-Saint-Denis, avait un double intérêt, selon lui : trouver « un important réservoir de main-d’œuvre prête à travailler tout de suite », dans les banlieues défavorisées, en surfant « sur la promesse de se faire de l’argent ». Il revient sur la désillusion, lorsqu’Uber a augmenté sa commission à 20 % puis à 25 % en 2016. Comme Mohamed, chauffeur VTC depuis cinq ans, qui a vu son chiffre d’affaires baisser à 1 200 euros pour 40 heures de travail, mais « ne peut pas tout plaquer », endetté par l’achat d’une voiture. « Le système est pernicieux », note le journaliste. La grogne monte aussi chez Deliveroo, « qui a tout simplement supprimé les tarifications minimales » depuis 2019…

Sous-traitance invisible

Alors que les start-up de livraison ne cessent de fleurir depuis la pandémie, Gurvan Kristanadjaja décrypte en détails un modèle guère reluisant, peu regardant sur le travail déclaré ou non des « prestataires » autoentrepreneurs. Son livre reprend en partie son enquête pour Libération chez Frichti en 2020, où Karim, livreur non payé « pendant deux mois », s’est aperçu qu’il travaillait en réalité… pour un sous-traitant. Lequel se targue ironiquement « de livraison écologique » et est « cité dans plusieurs réseaux estampillés French tech »… Cette sous-traitance masquée est fréquente dans les plateformes, flouant encore plus facilement les livreurs, déplore le journaliste. Pourquoi, face à de telles dérives, les pouvoirs publics ont-ils tant tardé à légiférer ? Retraçant les batailles sociales depuis 2017 – collectifs de livreurs, syndicats, premières requalifications en CDI par la justice en 2020 –, il pointe les ambivalences politiques, entre défenseurs du statut salarié ou indépendant et le leurre des chartes « unilatérales » de responsabilité sociale des plateformes. Un lobbying actif, aussi. Si aujourd’hui, les politiques « s’accordent pour avancer sur la protection sociale », c’est que l’ubérisation progresse : en 2020, 200 000 personnes subissaient ce phénomène au sein des plateformes en France, selon l’auteur. Et il les liste : dépannage, dark kitchens ou jobs étudiants, ce phénomène s’étend à d’autres secteurs. Avec un droit du travail au rabais.

Auteur

  • Lydie Colders