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« Les salariés doivent savoir qu’ils peuvent avoir confiance dans la fonction RH »

Le point sur | publié le : 21.02.2022 | O. H.

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Entretien Adrien Chignard : « Les salariés doivent savoir qu’ils peuvent avoir confiance dans la fonction RH »

Crédit photo O. H.

Adrien Chignard est psychologue du travail et des organisations. Avec le cabinet de conseil Sens&Cohérence, qu’il a créé, il accompagne les entreprises dans la prévention et le traitement des risques psychosociaux.

Les situations de harcèlement peuvent-elles entraîner des répercussions sur le collectif ?

C’est ce qu’on appelle un impact émotionnel par personne interposée : je vois que mon collègue est harcelé, que l’entreprise ne dit rien, je me dis que ça peut être moi le prochain. Les collaborateurs empathiques vont même jusqu’à souffrir de voir leurs collègues souffrir. Puis, des biais cognitifs peuvent apparaître et le cerveau réagit par une « stratégie des œillères », qui vise à minimiser l’ampleur des comportements toxiques. Ce n’est pas de la lâcheté mais un réflexe de protection. Il s’agit d’une dissonance cognitive qui permet de rendre une situation moins intolérable. Le problème, c’est que cela va créer un isolement encore plus fort de la victime, qui va avoir le sentiment que ses collègues la négligent, voire la tournent en dérision.

 
À l’inverse, une situation collective peut-elle donner naissance à des situations de harcèlement ?

Nécessairement, oui. Le harcèlement, c’est parfois l’expression individuelle d’un système organisationnel qui dysfonctionne. En ne prenant le harcèlement qu’à travers le prisme individuel, on se prive de certains leviers d’action pour endiguer le phénomène. Bien sûr, ce n’est pas toujours un phénomène collectif, mais il y a des prédispositions collectives qui favorisent l’expression du harcèlement. Par exemple, certaines entreprises ont un très mauvais climat de sécurité psychologique, c’est-à-dire qu’elles ne permettent pas l’expression d’une vulnérabilité, par exemple. Quand quelqu’un peut dire à son manager, à son DRH, aux élus, à sa CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail, au sein des CSE) qu’il y a un problème, on se rend compte que cela permet une détection précoce. Le harcèlement, c’est une situation aiguë qu’on a laissée se déliter par une absence de régulation collective, managériale et organisationnelle.

 
Quelle est l’action clé pour les entreprises ?

Les entreprises doivent promouvoir un bon climat de sécurité psychologique, dans une logique plus large de prévention des risques psychosociaux. Les managers doivent être formés sur la détection des signaux faibles des risques psychosociaux, mais pas seulement. La mise en place d’organisation du travail dans laquelle les salariés ont les moyens, un mode collectif qui fonctionne, un dialogue social de qualité… tout cela y participe aussi positivement.

Par quelles actions concrètes cela peut-il se traduire ?

Un mode de fonctionnement qui permet d’aborder le sujet de façon assez formelle est le questionnaire de Leymann. C’est le questionnaire que tous les psychologues utilisent pour commencer à qualifier les situations. Cela permet déjà de commencer à structurer la pensée.

 
Y a-t-il de bons résultats ?

Oui, les entreprises qui mettent en place cette politique de prévention connaissent beaucoup moins de situations de harcèlement. Car, grâce à la prévention, les collaborateurs savent ce qu’est le harcèlement et savent le détecter. Les salariés doivent savoir qu’ils peuvent avoir confiance dans la fonction RH pour sa neutralité et qu’elle ne sera pas systématiquement dans le soutien rigide des managers. Cela est valable aussi bien pour les harcèlements moraux que pour le harcèlement sexuel. Mais il ne faut pas être naïf : la gestion des RPS n’est pas faite pour « être gentil ». Elle doit être faite parce que cela contribue à produire de la valeur. Et c’est bien cela l’objectif des entreprises…

 
Vous semblez être attaché à la question de la formation des salariés à la notion de harcèlement. En quoi est-elle importante ?

Cela permet de bien différencier les choses. Les salariés qui font des remontées vont pouvoir bien distinguer les faits de harcèlement des faits d’une simple mauvaise relation avec un manager. Bien sûr, le deuxième cas n’est pas forcément meilleur pour la santé du salarié, mais ce sont deux choses vraiment différentes. Il faut éviter de dire à tout bout de champ que tout est du harcèlement. Il faut bien nommer les choses, d’abord par respect pour les personnes qui souffrent réellement, et ensuite, pour se prémunir de mauvaises actions. Comme le disait Albert Camus, « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »

 
Comment travaillez-vous en lien avec les avocats ?

Ce qui est intéressant, c’est la logique de complémentarité entre les compétences. J’ai besoin d’avoir un regard d’avocat quand je rends mon rapport et l’avocat a besoin du regard mais aussi de la posture du psychologue, qui est différente de la sienne.

Auteur

  • O. H.