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Digitalisation : La data, nouvelle donnée de base pour les RH

Le point sur | publié le : 14.02.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Digitalisation : La data, nouvelle donnée de base pour les RH

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

La pénurie de candidats et l’évolution des métiers consécutive à la transformation digitale devraient remettre la data au premier rang des priorités.

Sur la data, à première vue, les progrès sont… lents. « Les DRH les plus avancés en sont à la phase deux de la data sur une échelle à cinq degrés, estime d’ailleurs Muriel de Fabrègues, codirectrice du Ciffop (Centre interdisciplinaire de formation à la fonction personnel – université Paris-Panthéon-Assas). Ils essaient de fluidifier les échanges entre logiciels en harmonisant les formats de données. Pour autant, l’ensemble de l’écosystème RH n’est pas encore complètement parvenu au stade de l’analyse de la data, et entre lentement dans la « prédiction ». » Les progrès seront d’autant plus difficiles qu’un autre obstacle émerge, selon elle. « En croisant beaucoup de données, il devient possible d’aller vers des analyses de données individuelles, explique-t-elle. Mais les DRH sont réticents à s’engager dans cette voie, en particulier avec l’analyse d’informations qui pourraient donner des indications sur les choix futurs de carrière ou pour tout ce qui touche à la santé. Une génération de DRH garde une certaine pudeur vis-à-vis des données RH, ils préfèrent s’appuyer sur des groupes de réflexion éthique ou en mettre en place. »

Comparer les offres

Analyser la data implique aussi une dimension plus prosaïque, le coût des outils. Pour Jean Pralong, cette étape fait ressortir l’écart existant entre les grandes marques et les jeunes pousses inconnues : « Cela joue sur le processus d’achat, car les DRH ne connaissent que les marques les plus puissantes. Par ailleurs, un DRH doit justifier son investissement auprès d’un supérieur. Or ce sont des outils complexes. Il est très difficile d’expliquer à un DG les différences entre le test de personnalité de tel éditeur et celui sur les soft skills d’un autre, d’où la focalisation sur le prix et la puissance de la marque. Le raisonnement pur qui voudrait que le DRH achète l’outil le plus adapté à ses besoins se brise sur cette focalisation des échanges sur le prix mais aussi l’opinion supposée que les candidats se feront du produit », explique-t-il, pour ajouter : « Les entreprises veulent réduire le risque de décourager les candidats, d’où la recherche d’interfaces de qualité ou le souci de formuler les résultats “avec bienveillance”. Ces éléments, qui ont pour objectif l’amélioration de la marque employeur, ne sont pas forcément au service de la qualité de recrutement. »

La prise en compte des attentes des salariés n’est pas toujours au rendez-vous, déplore de surcroît Agathe Fonsagrives, doctorante à l’IAE Paris-Sorbonne. « La plupart du temps, les RH réfléchissent en termes de solution et pas de problème à régler. Ils proposent des outils supplémentaires aux utilisateurs, mais ceux-ci ont des difficultés à en comprendre la réelle valeur ajoutée. Et étant déjà très sollicités sur de nombreux outils numériques, cela induit une saturation cognitive importante », dit-elle.

Si les progrès sont lents, les urgences actuelles pourraient dynamiser l’usage de la data. À commencer par les tensions sur le recrutement, qui pourraient ainsi jouer un rôle d’accélérateur. « L’écosystème RH a compris qu’il va falloir piloter, mesurer et analyser la data pour surmonter ces difficultés », indique ainsi Jonathan Bordereau, dirigeant de Golden Bees, cabinet spécialisé en RH. D’autant que, sur le recrutement, les outils actuels permettent de mener des actions qui ont toutes les chances de séduire les RH en manque de candidatures. « L’une des premières actions à mener consiste à comparer l’attractivité de l’offre d’une entreprise (nombre moyen de candidatures par offre) par rapport à ses concurrentes, puis le contenu des offres. Nous rendons cela possible grâce aux millions d’offres d’emploi traitées et segmentées dans nos bases de données, tous métiers et secteurs d’activité confondus », poursuit-il.

Recourir à des outils avancés comme le recrutement programmatique sera parfois indispensable, avance pour sa part Léo Al Hamra, dirigeant de Smart Moov, spécialisé dans ce type de méthode. « Sur certains profils, il faut avoir conscience qu’on va toucher des candidats passifs, qui n’ont pas de CV à jour. Si on les sollicite sur leur mobile, comme c’est le cas pour 90 % des candidats, il faut donc adapter le processus de recrutement pour éviter de leur demander un CV et créer un parcours très rapide. Il faut qu’un candidat puisse postuler à une offre le temps d’un trajet en métro », résume-t-il.

De tels dispositifs ne sont pas pour autant réservés à de grandes entreprises. L’agence immobilière Proprioo a eu recours à un acteur spécialisé dans le recrutement programmatique afin de passer de 100 à 200 agents en 2022. « Notre objectif est d’augmenter les candidatures de profils en phase de reconversion professionnelle, explique Victoria Weidemann, responsable de la croissance. Nous avons constaté que les formulaires Google ou les campagnes plus élaborées ne permettaient pas d’avoir assez de profils qualifiés. » Après une étude, des actions ont été lancées comme la création de pages sur le site, l’adaptation des messages et des visuels pour communiquer sur les réseaux sociaux, et l’aménagement des argumentaires prévus lors des échanges avec de potentiels candidats.

Une approche transverse nécessaire

Selon Patrick Storhaye, président de Flexity et professeur associé au Cnam, l’acculturation à la data des services RH nécessite une combinaison de trois éléments. Une maîtrise des outils de recueil et d’analyse de la data, d’abord. « Et ce type de profils commence à arriver sur le marché », dit-il. Ensuite, une culture du métier RH lui-même. Or « ces trois dimensions ne sont jamais réunies dans une seule personne », souligne-t-il. Il craint en conséquence que deux mondes émergent et se côtoient sans se parler, ce qui va réduire l’efficacité de l’exploitation des données. À moins de créer des approches plus transverses, tournées vers l’acquisition d’expertise data au service des fonctions RH. Mais, pour l’heure, la data n’intéresse guère ceux qui sont dans les parcours de formation RH. « Le risque, c’est que les RH regardent le train passer. Cela va probablement aboutir à faire émerger une minorité de RH qui vont investir le sujet et y consacrer les moyens nécessaires pour acquérir ces compétences parce qu’ils savent qu’ils vont en tirer un avantage compétitif – et les autres… », conclut-il.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins