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Les clés

Le coaching au service du capitalisme

Les clés | À lire | publié le : 07.02.2022 | Lydie Colders

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Le coaching au service du capitalisme

Crédit photo Lydie Colders

Dans son enquête Aux bons soins du capitalisme, la sociologue Scarlett Salman critique l’usage du coaching en entreprise. En « transférant la responsabilité de l’entreprise vers l’individu », cet outil serait emblématique du néolibéralisme.

Le coaching individuel symbolise-t-il un capitalisme à visage humain ou témoigne-t-il d’un libéralisme captant la subjectivité des managers ? Au nom « du bien-être », les critiques pleuvent depuis vingt ans sur cet accompagnement des cadres supérieurs. Mais qu’en est-il en pratique ? Explorant « ce tournant personnel du capitalisme » (l’individu « entrepreneur de soi »), cette longue enquête de la sociologue Scarlett Salman explore les profondes ambivalences du coaching, à partir d’exemples concrets. Son livre, riche en entretiens (elle a interviewé 80 coachs, DRH et cadres), interroge son utilisation dans les grands groupes. Pourquoi un DRH, voire un manager, « prescrit-il » un coaching ? Comment s’exerce-t-il ? Quels sont ses effets sur l’attitude des cadres ? En plongeant dans le vif du sujet, la chercheuse démontre une recherche de performance individuelle déguisée, occultant « les contradictions organisationnelles ».

Une approche « productiviste »

Prise de poste, nouvelles responsabilités, « les cadres se voient le plus souvent prescrire un coaching pour modifier leur comportement et leurs relations avec leurs collaborateurs ». Mais la sociologue relève que « les enjeux temporels » (sentiment d’urgence, de dispersion, « d’un trop-plein » débordant sur la vie privée) sont aussi traités dans cet accompagnement. Au travers d’exemples de managers débordés (comme ce directeur régional dans l’assurance dont l’activité s’agrandit à la suite d’une fusion), elle pointe un coaching visant alors « l’optimisation de soi » par diverses techniques (planifier son temps, revenir au sens du métier). Une aide appréciée des cadres pour « reprendre prise sur le flux de leurs activités ». Problème : cette injonction douce relève pour elle « d’une hygiène individuelle » visant en réalité l’engagement. Le coaching « alourdit la responsabilité morale du cadre », éludant celle de l’entreprise, dans un travail multitâche, envahi par le numérique.

Le règne de l’autocontrôle

Dans la deuxième partie, Scarlett Salman explore le leurre du coaching plus psychologique, utilisé pour améliorer les relations de travail, illustrant une « rhétorique managériale » à l’œuvre. Cadre à haut potentiel manquant de diplomatie, manager jugé trop perfectionniste ou en conflit avec sa direction sont alors invités « à travailler sur eux » pour changer de comportement. Croisant témoignages et analyse, Scarlett Salman fustige un accompagnement favorisant « une logique d’autodiscipline » et « un polissage des interactions ». Et qui peut aussi « sonner comme un rappel à l’ordre » masqué, en cas de conflit… Là aussi, cet outil renforce l’idée « que les problèmes de communication ou de tensions professionnelles sont imputables à la personnalité de l’individu », sans sonder le collectif. Dans sa critique d’un nouvel esprit du capitalisme érigeant « la personne en projet », la sociologue illustre finement que le coaching joue finalement « un rôle conservateur du système en place ». Un maquillage, en somme…

Auteur

  • Lydie Colders