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Nouveaux usages : La crise dynamise le partage entre entreprises

Le point sur | publié le : 07.02.2022 | Lucie Tanneau

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Nouveaux usages : La crise dynamise le partage entre entreprises

Crédit photo Lucie Tanneau

Mise en commun des achats, de locaux, de services, voire de salariés : si la mutualisation, dans les entreprises, a eu du mal à se développer, la crise change la donne. Avec à la clé des économies financières et d’énergie ainsi qu’un accès à de nouvelles compétences.

Sur le modèle du covoiturage, des groupements d’achats, du partage de savoir-faire ou de l’électroménager qui ont explosé dans la sphère privée ces dernières années, la nouvelle culture du partage touche désormais les entreprises. « Nés en temps de crise économique et sociale et facilités par la progression des usages numériques, ces nouveaux modes collaboratifs privilégient l’usage sur la possession », soulignait dès 2013 Anne-Sophie Novel, dans son livre La Vie share mode d’emploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs, en évoquant « une co-révolution en cours ». Presque dix ans et surtout une crise sanitaire plus tard, de nombreux dispositifs ont vu le jour dans les entreprises.

Ainsi, en Occitanie, France Industrie, une organisation professionnelle créée en 2018, a mis sur pied le prêt de main-d’œuvre. Les consultants RH du dispositif Passerelles développé avec l’UIMM Occitanie, la région, Pôle emploi, la Direccte (désormais Dreets) et les branches industrielles de France Industrie sollicitent les entreprises et parcourent les zones d’emplois pour travailler sur les besoins et aider les employeurs à rechercher, s’échanger ou reclasser des salariés, en particulier en cas de sous-activité ou de sureffectif. Plus de 50 entreprises ont ainsi déjà profité du système. « Le dispositif devrait être pérennisé, estime Nicole Barollo, la coordinatrice de France Industrie en Occitanie, c’est un vrai appel d’air économique. »

Dans le Lot-et-Garonne, la Chambre de commerce et d’industrie a de son côté instauré le dispositif « Share », fondé sur la même philosophie, en 2019.

« La crise a certes été un accélérateur, mais les prémices existaient déjà », relève pour sa part Navi Radjou, chercheur et spécialiste du partage interentreprises (lire interview ci-après). Les hôpitaux publics ont par exemple mutualisé leurs moyens et leurs fonctions support (système d’information, achats, formation…) et renforcé les synergies, avec la création de groupements hospitaliers de territoire, permise par la loi 2016-41 du 26 janvier 2016, dite de modernisation du système de santé.

Synergies industrielles

Dans l’Aube, le club d’écologie industrielle a été fondé il y a plus de quinze ans, avec pour objectif « d’identifier des synergies entre acteurs locaux et les mettre en œuvre », explique Grégory Lannou, cofondateur du club. Il propose des ateliers d’identification des ressources, afin d’utiliser l’eau, les matières premières ou l’énergie d’une entreprise dans une autre. Trente membres actifs s’échangent ainsi des ressources, « dont 5 ou 6 nouveaux depuis l’an dernier », indique-t-il. Entre 100 et 150 entreprises du département travaillent avec le club. Exemple, Dislaub, une ancienne distillerie industrielle rachetée par Cristal Union, qui a changé de modèle économique. « Elle ne fait plus d’alcool à partir de betteraves, mais récupère des alcools et solvants pour en faire d’autres produits qui ont les mêmes propriétés que des alcools et solvants vierges », explique Grégory Lannou, soulignant que la transformation a été possible car « les compétences étaient là, l’entreprise s’est approprié l’idée et a vu les bénéfices environnementaux ou financiers possibles ». C’est, selon lui, la clé de l’écologie industrielle – une « symbiose industrielle qui constitue un mode d’organisation interentreprises par des échanges de flux ou une mutualisation des besoins », selon la définition de l’Ademe. « La symbiose renvoie ici à l’échange de flux (matières, énergie, informations) entre au moins deux entreprises pour leur bénéfice mutuel », souligne l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Grégory Lannou faisait partie des premiers convaincus en France, grâce à Dominique Bourg, spécialiste des questions environnementales et ancien professeur à l’UTT de Troyes. Au début des années 2000, le club aubois et Ecopal, à Dunkerque, étaient les seuls acteurs français. « Aujourd’hui, on recense près de 200 initiatives », indique-t-il. Elles seront étudiées lors d’un Congrès ressources, rencontre organisée tous les ans depuis 2012.

Mutualiser la logistique

Dominique Lemelle a compris l’intérêt de la mutualisation depuis 2009. Anciennement à la tête des andouillettes AT France, il avait alors choisi de mutualiser la logistique et le transport avec un autre producteur, le fromager Lincet (chaource). « Nous avons partagé nos systèmes d’information et créé un entrepôt pour la livraison à nos clients communs, dont la grande distribution », explique-t-il, pour ajouter que « l’idée n’est pas de dire Big is beautiful, mais que si un camion s’arrête pour charger, cela coûte de l’argent. En augmentant les volumes, on diminue le coût. Mais il faut avoir les mêmes clients et les mêmes valeurs. » Les deux gérants faisaient partie des mêmes clubs. « Nous avions déjà expérimenté le fait de vendre à plusieurs via une centrale agroalimentaire, poursuit-il. Énormément d’activités sont faisables à plusieurs, il faut juste vérifier les envies et la culture d’entreprise. » Et, pour sortir de la crise, il encourage les chefs d’entreprise à s’orienter vers du salariat partagé, afin de ne pas laisser filer de compétences. « Jusqu’à présent, la sous-traitance servait l’économie, mais désormais, si l’on veut réussir à garder les compétences, il faut salarier pour s’assurer la fidélité des talents », souligne l’ancien président de la CCI de l’Aube.

« Le contexte est porteur », renchérit Grégory Lannou, très sollicité pour des retours d’expérience. « L’augmentation du prix des matières premières et la pénurie de main-d’œuvre rendent indispensables de réfléchir à plusieurs : si un dirigeant était réticent, aujourd’hui, il n’a plus le choix. Et la crise a en outre permis aux entreprises de se rendre compte qu’elles ont la possibilité de faire des sauts productifs. Cela a été le cas pour celles qui se sont mises de manière très rapide à produire du gel hydroalcoolique ou des masques pour répondre aux besoins, ajoute-t-il. Avec un effet : une prise de conscience que la réticence au changement était dans la tête et que l’on peut mobiliser l’outil de travail différemment, à deux conditions, qu’il soit performant et qu’il y ait les compétences. »

Auteur

  • Lucie Tanneau